Les affreux monstres
Les monstres affreux, les robots dévastateurs de l’univers, les ogres qui mangent les enfants, la pieuvre de Jules Vernes, l’Ile Mystérieuse et la chasse aux tigres, les enfants en raffolent.
Ils jouent avec des monstres affreux et s’attachent à eux.
Ils jouent même avec des mitraillettes et des fusils. Ils jouent à la guerre, font des prisonniers, tuent des ennemis…
Depuis des millénaires les contes fascinent. De tradition orale, les siècles les ont rabotés et polis et ils répondent parfaitement à tous les rêves et les cauchemars enfantins : l’amour, la tendresse, l’abandon, la séparation, le noir, les loups, la jalousie, la cruauté, les adultes méchants … Tous ils ramènent à la vie familiale et aux forces qui la composent.
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La découverte du monde qui l’entoure
Or le petit enfant découvre le monde autour de lui. Le monde familial et le monde plus large. A sa façon il en connait la chaleur (l’amour), le mystère (la forêt) l’immensité (le désert), la complexité (la guerre), il sait ce que « mort » veut dire (il a écrasé des fourmis), il redoute l’abandon (le petit poucet), la séparation (ses copains ont des parents séparés), la perte (le mot « orphelin » le fait frémir), la misère, la faim, le froid (la petite fille aux allumettes)…
L’univers merveilleux est le monde des enfants. Pour eux les frontières sont encore floues (Piaget) entre vivant et inanimé, entre hommes et animaux, entre imaginaire et réalité, et justement les contes les transportent très loin dans le temps « Il était une fois… » et dans l’espace « Dans un royaume très lointain… ». Les contes savent parler aux enfants. Ils se mettent en « mode magique ».
Les jeunes humains ressentent ces peurs depuis que le monde existe. Nul n’y échappe. Les enfants les vivent, et petit à petit apprennent à les supporter, les mettre à distance. Ils s’apercevront que la vie est possible malgré elles.
Peur de faire peur?
Certains adultes craignent de leur apprendre le mal et l’horreur. Ils pensent qu’il faut édulcorer les histoires et cacher aux enfants les morts et les crimes, dire que le loup n’a pas mangé le petit chaperon rouge, que Barbe bleue n’a pas assassiné ses épouses… Ils leurs interdisent de jouer avec des armes en plastique.
Ils ont peur de la peur qu’ils risqueraient de susciter chez les enfants.
Du coup ils censurent les histoires qui font peur.
Pourtant les histoires sont décalées de la réalité quotidienne. L’enfant le sait bien. Le metteur en scène manipule les spectateurs mais tout le monde le sait.
La symbolique cachée dans les plis du récit rejoint directement le lieu de l’affectif. L’univers du théâtre ou du conte s’intègre directement par le canal affectif et non par la raison.
Ils y croient (Ils l’éprouvent) et les mots expriment pleinement les sentiments forts. Ces mots permettent de les nommer, de les mettre à distance. La peur, ils peuvent désormais la regarder, jouer avec elle, en jouer pour faire peur aux autres, en rire.
Identification?
L’enfant s’identifie à un personnage du conte et éprouve avec lui des sentiments racontées par l’adulte. Il se trouve que cet adulte est souvent l’un de ses parents. Il voit ainsi que son père (ou sa mère) éprouve comme lui ces mêmes peurs et qu’il peut en parler, mettre des mots sur elles. Son père vit ces peurs, en parle et les dépasse. Il arrive même qu’ils puissent en rire tous les deux ensemble.
Si ses parents ne lui racontent pas d’histoire, le monde reste pour lui un enfer terrifiant. S’il reste seul devant des violences à la télévision sans qu’on en parle avec lui, la fascination et l’angoisse seront extrêmes. L’angoisse le tirera vers des souffrances profondes et la fascination vers des passages à l’acte.
Grâce aux histoires racontées puis lues :
La dureté du monde devient moins insurmontable.
Les tensions familiales et les conflits se dissolvent dans les histoires.
Les conflits intérieurs trouvent matière à réflexions à travers des exemples.
Les contes de fées sont si riches qu’ils foisonnent de situations et de personnages hors du commun auxquels l’enfant a la liberté de s’identifier. Il peut s’identifier au petit chaperon rouge ou bien au loup. Rien ne l’en empêche puisqu’il est dans un conte…
Ses rêves d’amour ou de violence lui appartiennent et l’aident à vivre. Cette liberté ne doit pas être critiquée ou limitée. Il n’y a pas lieu d’expliquer un conte avec des mots d’adulte. Ni de chercher à maîtriser ses rêves.
Raconter avec des sentiments dans la voix, des gestes, de la gravité comme au théâtre, en ménageant des silences et en montrant que le conteur (acteur) est partie prenante du drame.
L’imagination de l’enfant est sans limites
Dans une ambiance familiale affective et tendre, il suffit d’alimenter l’imagination de l’enfant.
C’est à l’enfant de choisir l’histoire du jour dans une pile de livres présentée par ses parents. Il choisira mieux que personne, car il est seul à ressentir ses peurs enfouies et ses désirs profonds, ses curiosités.
Le libre choix de l’histoire répond à la liberté de rêver.
Le choix autoritaire de l’histoire du jour ou la censure qui écarterait les histoires qui se terminent mal…tiendraient du désir de maitriser l’inconscient de l’enfant.
Toute sa vie il restera avide d’aventures, d’histoires, de films, de romans.
L’adolescent sera plus sensible aux contes explorant les rituels de séduction et les affaires conjugales.
L’adulte éprouve ce plaisir libre en errant dans une librairie.
D’autres se contenteront des actualités ou des conversations de café du Commerce…La richesse d’un bon roman tient au fait qu’il suscite plusieurs interprétations possibles et que les mots choisis enrichissent la pensée du lecteur et son raisonnement. Tout en apportant un plaisir délicieux.
Bien des maux se transforment ainsi en plaisir…
Ce plaisir transparaît chez les enfants attachés à leur monstre en plastique vert tenu par une patte, dominé, ou à leur livre d’histoires illustrées de bêtes féroces. Ils l’aiment tant, qu’ils veulent l’entendre raconter encore et encore … Ils sont sensibles très tôt à la musique des mots. Ils sont curieux des aventures extraordinaires. Ils ont besoin qu’on leur raconte les inconnues du monde.
Les histoires rendent le monde moins terrifiant et attisent l’envie de s’y lancer.
Dr Alain Brochard
Juin 2011
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