Un texte très fort sur les violences sexuelles faites aux enfants « Bricolage » – Pensez toujours au 119 !

Lisez ce texte ci dessous, c’est fort et le message est clair: le 119.

Ecrit par Mikael POUTIERS, juriste au Conseil de l’Europe depuis 20 ans, dans la Division des droits des Enfants et plus particulièrement dans la petite équipe du secrétariat du Comité des Parties à la Convention sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (appelée aussi Convention de Lanzarote, du nom de l’île des Canaries où la Convention a été ouverte à la signature).

L’auteur est également responsable de la Journée européenne de protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels qui a lieu chaque année le 18 novembre. Lien vers la page d’accueil dela Journée européenne: https://www.coe.int/fr/web/children/end-child-sex-abuse-day

Lien vers la page d’accueil de la Convention: https://www.coe.int/fr/web/children/lanzarote-convention

Ce texte ci dessous fait partie d’une cinquantaine d’autres textes (poésie, haïkus, témoignages, nouvelles), publiées dans un seul et même livre « Comme une bouteille à la Mer », édité aux Editions La Grange de Mercure, sur le thème du confinement Covid.

Son auteur nous autorise à publier son texte.

N’hésitez pas à vous procurer le livre ICI

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Bricolage

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Je m‘appelle Léo, j’ai dix ans.

Mon beau-père est brancardier. Depuis l’arrivée du Coronavirus, tout le monde dans le quartier aime mon beau-père. Il est soignant. En ce moment, on dit qu’il faut aimer les soignants. Moi, je le déteste, lui, même s’il est soignant. Ils ne le connaissent pas, en fait. Mais moi si.

Les soirs, une fois qu’il est rentré du boulot, il se met à la fenêtre pour se faire applaudir. C’est du grand n’importe quoi. Pourquoi applaudissent-ils mon beau-père ? Il ne fait rien de bien. Non, vraiment.

Ma mère, elle, ne dit rien. Elle n’a jamais rien dit. Elle est enceinte. Elle l’aime. C’est elle qu’il faudrait applaudir. Ou moi, ou mon petit frère. Il a huit ans mon petit frère. Je l’adore. Il est si drôle, si vivant. Ses yeux pétillent dès qu’il se réveille le matin. Il bouge tout le temps. Il vit, vit, vit. Je tiens bien sûr mon rôle de grand frère. Je lui apprends plein de choses. Je le surveille et je le protège. C’est bien d’avoir un petit frère comme lui. Le bébé, ce sera un garçon aussi. Il devrait arriver dans environ 2 mois.

J’aime bien l’école, mais c’est surtout ma maitresse que j’aime bien. Elle me manque. A cause du confinement, je ne vais plus à l’école. C’est ma mère ma maitresse maintenant, mais ce n’est pas pareil. J’ai des devoirs à faire que ma maitresse envoie par internet, mais je n’ai pas de contact avec elle. Elle ne m’a pas appelé ; je ne peux pas lui parler. Elle me manque vraiment.

Un jour, un peu après le début du confinement, mon beau-père a pris de l’argent dans le portefeuille de ma mère et les clés de la voiture pour sortir. Ma mère lui a dit qu’il ne fallait pas, que c’était interdit. Il a répondu que le confinement c’était pour les vieux. « C’est eux qui vont crever », il a dit. Il a ajouté : « De toute façon, je sors pour faire des courses puisque ça c’est autorisé » et puis il a ri. Ma mère lui a alors répondu que c’était bien qu’il fasse les courses. Quand il est revenu, beaucoup plus tard, il s’est jeté sur ma mère dès qu’il a ouvert la porte. « Salope, c’est ta faute. C’est toi qui m’a dit de sortir ». En fait il n’avait pas fait les courses. Il était seulement allé acheter des bières pour les boire avec ses potes sur le banc de l’avenue d’à-côté. Les flics sont passés et leur ont filé une amende. 135 Euros chacun, ils ont dû payer. Ils n’avaient pas le droit d’être dehors pour boire des bières. C’était ça le confinement. En plus, ils n’avaient pas rempli le papier d’autorisation. C’est pour les cons, qu’il disait mon beau-père.

Après ça, pour se calmer, il m’a dit d’aller dans le garage avec lui pour bricoler. C’était le signal que je redoutais. Je l’ai suivi dans le garage, je n’avais pas le choix. Ca été long, très long. Ca me faisait mal, très mal. Mais je ne disais rien. Il disait que c’était notre petit secret. J’avais l’habitude. Je ne pleurais même pas. J’étais un grand garçon. Mais je n’aimais pas ça. Lui, il disait que c’était normal pour un garçon comme moi. Moi, je savais que ce n’était pas normal.

Un soir, aux infos à la télé, ils ont dit que les enfants ne tombaient pas malades du Coronavirus. Ils pouvaient le transporter et le transmettre à un adulte mais sans tomber malade, eux. Ca ma donné une idée géniale. J’avais décidé de me faire contaminer. Le lendemain après-midi, je suis sorti en cachette de l’appartement. J’avais dit à ma mère que j’avais un livre à lire pour l’école et qu’il fallait que je reste tranquille dans ma chambre. Ca l’a arrangé ma mère, car elle travaillait sur l’ordinateur pour son boulot. Elle n’avait pas besoin de s’occuper de moi. Je ne savais pas trop où aller. Il n’y avait personne dans les rues, sauf quelques groupes de jeunes. J’ai donc décidé d’aller vers l’hôpital. C’était tout près. Il y avait forcément des malades, là. J’y étais déjà allé avec ma mère quand mon frère a eu l’appendicite. On était resté super longtemps à attendre. J’y étais aussi retourné quelque fois quand il fallait y retrouver mon beau-père. Je suis entré dans le grand hall. Il n’y avait presque personne. J’ai trouvé ça bizarre parce que d’habitude il y a plein de monde. Il n’y avait que deux personnes dans la salle d’attente, à gauche quand on entre. A droite, il n’y avait qu’un monsieur devant une machine à café. Et personne à poser des questions à l’accueil. Je me suis donc demandé si c’était vrai cette histoire de Coronavirus. Est-ce que le Président nous aurait menti ? Pourquoi aurait-il fait ça ? J’ai avancé dans les couloirs des urgences. Personne, d’abord, et après quelques dizaines de mètres, j’ai trouvé. Personne ne faisait attention à moi. Ils étaient trop occupés. Il y avait des docteurs partout. Ca courait dans tous les sens. Il y avait plein de malades aussi. Je me suis installé près d’un brancard. Un vieux monsieur, très gros, était allongé dessus. Il toussait beaucoup. C’est pour ça que je l’avais choisi. A la télé, ils avaient dit que les gens malades toussaient beaucoup et que le virus s’échappait d’eux quand ils toussaient. Je me suis mis tout près de lui pour bien respirer ses postillons. Il était heureux de me voir. Il m’a pris pour son petit fils. Je n’ai rien dit. J’ai passé environ dix minutes avec ma tête tout près de sa bouche. Je recevais régulièrement des postillons sur le visage. Je respirais à pleins poumons. En plus, il puait de la goule, le vieux monsieur. Il avait une haleine de chacal. C’était pas mal dégueu, mais il fallait ça pour être bien contaminé. J’étais trop content de mon coup. Ca allait marcher, c’était certain.

Quand mon beau-père est rentré chez nous ce soir-là, j’ai été très câlin. Il n’a pas compris. Je lui ai fait plein de bisous. J’ai même toussé plusieurs fois dans sa direction. J’étais sûr qu’il allait attraper le virus. Il allait crever, c’était sûr, lui, le gros con.

En fait non, c’est moi qui suis tombé malade. Pas de chance. Ca a été grave. J’ai eu beaucoup de fièvre et je toussais tout le temps. Ma mère a appelé le médecin. Il lui a dit que même si j’étais un enfant, c’était probablement le Coronavirus. Il lui a dit qu’il fallait que j’aille à l’hôpital pour me faire soigner, sinon, je risquais de mourir. Ma mère a eu peur. Mon petit frère aussi. Et moi. Pas l’autre. Il disait que c’était rien, que je faisais semblant. Que de toute façon, on en faisait trop avec le Coronavirus. C’était rien qu’une grosse grippe. Ma mère a attendu un jour mais comme ma température avait encore grimpé, c’est elle qui m’a amené à l’hôpital quand mon beau-père était au travail. Ils lui ont dit qu’elle avait bien fait. Je suis resté presque une semaine à l’hôpital pour me faire soigner. C’était sympa l’hôpital. Je suis devenu le chouchou du service. J’étais le seul enfant. Les autres, ce n’était que des vieux ou des gros. Ma mère et mon frère n’ont pas eu le droit de venir me voir. Mon beau-père qui travaillait là n’est pas venu non plus. Lui, il ne m’a pas manqué. Ca faisait des vacances, même si je m’ennuyais un peu. Mais les infirmières étaient super cool avec moi. J’ai eu le droit de manger les bonbons qu’elles recevaient des gens qui les aimaient bien. J’ai même euplusieurs fois du gâteau au chocolat. Mon préféré. Mais je m’ennuyais quand même. Ma mère et mon petit frère me manquaient.

Quand je suis rentré chez nous, je pensais que ça serait la fête. Mais en fait non, pas du tout. Ma mère m’a embrassé très fort. Elle pleurait tellement elle était contente de me voir. Mon beau-père n’a rien dit. Mon petit frère était dans sa chambre. Quand je suis allé le voir pour lui sauter au cou, j’ai tout de suite remarqué que son regard était triste, très triste. Il était tout tranquille. Il avait perdu la joie qu’il avait d’habitude, avant. Il n’était plus un vrai enfant, comme moi. J’ai tout de suite compris. Le salop l’avait emmené dans le garage faire son bricolage puisque je n’étais pas là. Ca m’a tellement dégoûté que je me suis mis à pleurer dans les bras de mon petit frère. Il a pleuré avec moi, lui aussi.

Je me suis alors souvenu qu’à l’école, notre maitresse nous avait montré un petit dessin animé. Il s’appelait « Parle à quelqu’un de confiance ». C’était l’histoire d’une fille et de son petit frère. Un soir, alors que leurs parents faisaient la fête en bas, un des invités était monté dans leur chambre pour leur faire des trucs dont ils n’avaient pas envie. Le chien qui attendait derrière la porte n’étaitvraiment pas content de ce qui se passait. Quelques jours après, à la télé, ils ont vu un reportage qui disait que si ce genre d’histoire arrivait il fallait en parler à quelqu’un en qui ils avaient confiance. Le lendemain, la fille décide d’en parler à sa maitresse qui lui a dit que c’était très bien d’avoir le courage de parler. La maitresse de la fille a expliqué qu’il y avait une loi internationale qui avait été écrite sur une île en Espagne et qui obligeait les pays à protéger les enfants. A la fin de la vidéo, j’ai failli lever le doigt pour parler du bricolage dans le garage, mais je n’ai pas osé. J’ai eu peur que mes copains me traitent de fille. Aujourd’hui, je le regrette. Si j’avais parlé à ma maitresse, mon petit frère ne serait pas allé bricoler avec le gros con pendant que j’étais à l’hôpital. C’était de ma faute. Je n’étais pas là pour le protéger. Et maintenant, je ne peux pas parler à ma maitresse à cause du confinement. J’ai alors pris mon courage à deux mains :

Maman, tu sais, le bricolage dans le garage, c’est pas du vrai bricolage.
– C’est quoi alors, mon grand
?
– Ben, c’est difficile à t’expliquer, je ne suis pas sûr que tu comprennes, c’est un truc de garçon, mais ça fait mal.
Ca fait mal, le bricolage ?
Oui.

Et je lui ai tout expliqué. J’étais soulagé. Ca allait enfin s’arrêter. Mais non. Elle ne m’a pas cru. Elle a dit que c’était mal de dire des choses comme ça sur les gens, que j’avais de la chance d’avoir un beau-père comme lui, qui s’occupe si bien de moi, qui m’aime. Ce n’était pas comme mon père, qu’elle a dit. Je ne me souvenais plus de mon père mais je me suis dit qu’un papa ne pouvait pas faire ce genre de chose à son fils. Ce n’était pas possible. J’ai insisté, mais elle m’a crié dessus qu’il fallait que j’arrête avec ces histoires, que sinon elle allait lui en parler et que je verrai bien ce que je verrai. Elle a ajouté qu’il était très fatigué en ce moment. Après tous les efforts qu’il faisait pour nous et tout le travail qu’il avait à cause du Coronavirus, il ne fallait pas l’embêter avec mes idioties. Elle m’a dit qu’il fallait que j’oublie tout ça.

Je suis parti en courant vers ma chambre. J’avais très mal au ventre. J’ai pleuré longtemps. Mon petit frère est venu et il m’a consolé. Je crois qu’il avait entendu ce que j’expliquais à ma mère. Il m’a dit qu’il m’aimait très fort, que j’étais son héros. Ca m’a fait plaisir mais en même temps ça m’a donné envie de pleurer de nouveau.

Le lendemain, j’ai attendu que l’autre rentre du boulot, pour midi. J’avais pris le téléphone de ma mère avec moi. Il m’a alors dit de descendre au garage avec lui faire du bricolage. Puis, immédiatement après, il a dit : « J’ai changé d’avis ; j’irai avec ton petit frère. Je bricole mieux avec ton petit frère ». Je ne savais pas quoi faire, pas quoi inventer comme prétexte. J’ai alors dit qu’il était sorti faire une course. Il m’a cru. Heureusement car mon petit frère était dans sa chambre, à jouer. Je suis descendu avec lui dans le garage et il a commencé à bricoler avec moi. J’ai fait exprès de parler ce jour-là pour que lui aussi il parle. Il a commencé par m’insulter, il m’a frappé puis a arraché mon pantalon. Il a dit plein de gros mots ensuite. Je ne les comprenais pas tous puis il abricolé, trop fort, comme à chaque fois. J’avais mal mais je ne disais rien. Il ne devait pas savoir. Quand il a eu fini, il s’est essuyé, a remonté son slip et son pantalon. Il m’a dit de retourner dans l’appartement, de dire à ma mère qu’il restait un peu dans le garage et de l’aider à préparer le déjeuner. Je suis remonté rapidement. Je suis allé dans ma chambre et j’ai tapé les trois chiffres 1-1-9 sur le téléphone. C’était le numéro de téléphone qu’ils montraient à la télévision pour aider les enfants. Il était facile à retenir. Je leur ai expliqué le bricolage, que j’avais peur, que ma mère ne voulait pas me croire, que mon petit frère aussi était allé bricoler dans le garage avec le gros con quand j’étais à l’hôpital et que j’avais tout enregistré aujourd’hui sur le téléphone de ma mère. La dame qui m’écoutait de l’autre côté, elle, elle m’a cru. Elle m’a dit de rester à la maison. De ne dire à personne que j’avais appelé. Deux policiers sont venus chez nous plus tard dans l’après-midi. Ils nous ont demandé de les suivre au commissariat. Mon beau-père ne voulait pas. Il disait qu’il n’avait rien fait, qu’il fallait qu’ils disent pourquoi ils voulaient qu’on aille tous au commissariat. Quand ils ont expliqué pourquoi, mon beau-père à nié. Il était très énervé. Ma mère m’a regardé, comme si elle me demandait ce que j’avais fait. Mon petit frère m’a serré dans ses bras, très fort. Alors ma mère s’est mise à pleurer, d’un coup, très fort. Elle n’arrivait plus à respirer. Elle avait compris. Après un moment, elle a alors répété aux policiers ce que je lui avais raconté. Elle a continué à pleurer pendant tout ce temps car elle n’avait pas voulu me croire. J’ai alors tendu le téléphone de ma mère aux policiers en expliquant que j’avais tout enregistré. Ils ont commencé à écouter. Le gros con m’a alors traité de crevure. Il m’a menacé. Il s’est effondré par terre, la tête entre les genoux, les mains sur la tête. J’ai eu envie de lui donner des coups de pieds, mais je n’ai rien fait. Les policiers l’ont alors fait se relever et l’ont emmené avec eux au commissariat. C’était bien fait pour lui. Je ne voulais plus jamais le revoir, jamais. Ma mère a dit que c’était fini, fini et qu’il ne s’approchera plus de nous, que maintenant elle nous protègerait, moi et mon petit frère et le bébé. Qu’elle était fière de moi et qu’elle s’en voulait beaucoup de ne pas m’avoir cru. Elle disait ça avec une grosse larme qui continuait de couler le long de sa joue et en nous serrant très fort contre elle. Je l’aimais et je la croyais. C’était fini. Il n’y aura plus jamais de bricolage dans le garage.