Ados harceleurs au collège ou sur les réseaux sociaux

Certains collégiens peuvent donner le change, du genre  bon élève : intelligent, capable de vous faire rire, habile, ra­pide à fédérer une bonne troupe autour de lui. On le qualifie même de « charismatique » tellement il sait en imposer aux autres et devenir leader dès qu’il entre dans un groupe.

Harceleur, c’est quoi?

Le problème, c’est que cette personnalité apparemment calibrée pour la vie sociale est en réalité une force destructrice et malveillante. Car, dans le but de se gausser, ce collégien est devenu un harceleur, un « bullyier » qui se moque, insulte et peut aller jusqu’aux gestes de violence envers ses camarades. Accablant de manière répétitive ses vic­times, des élèves un peu moins costauds que lui, plus sensibles ou «atypiques », il œuvre, avec une volonté gratuite de nuire, dans les cours d’école, les vestiaires de gymnase ou les bus scolaires. Là où la surveillance plus rare des adultes lui permet de prendre le pouvoir. Et, s’il a sans doute toujours existé, il trouve de nouvelles armes aujourd’hui, poursuivant le soir derrière son écran d’ordinateur ou sur son smartphone les exactions commencées le matin dans la cour du collège.

Jean-Pierre Bellon, professeur de philosophie et auteur avec Bertrand Gardette, CPE en lycée, de Harcèlement et cyberharcèlement à l’école (Éd. ESF), connaît bien ces « harceleurs ». Avec son collègue, il a en effet créé dès 2006 la première base en français de ressources documentaires sur le harcèlement (harcèlement-entre-élèves.com).

Ce spécialiste du bullying reconnaît que jusqu’ici on s’est surtout intéressé aux victimes.« La priorité des chefs d’établissement était notamment de s’occuper des plus fragiles, et c’est normal, observe-t-il. Mais aujourd’hui, on sait bien que les harceleurs ne se sentent pas bien non plus. »

 

Enfin, pas tous. Dans une situation que Jean-Pierre Bellon a eu à traiter, où cinq élèves s’en prenaient depuis des mois à une jeune fille, quatre d’entre eux ont vite abandonné, dès que les adultes sont intervenus. Mais le dernier, plus dur, n’a rien reconnu de ses actes malveillants.« On était là dans le cas du harceleur chez qui le bullying est réellement enraciné, commente Jean-Pierre Bellon. Celui qui, de toute façon, prétend que c’est la faute de sa victime. »

Autour de ce leader, on retrouve les « suiveurs » : parfois outsiders – ils ne savent pas trop où se positionner – parfois supporteurs – ils incitent à la moquerie, aux insultes sans intervenir… Ces témoins plus ou moins actifs constituent le public, un des pôles incontournables des situations de harcèlement à l’école. Ce qui n’est pas le cas au travail ou dans la famille.

Bellon et Gardette ont évalué à 5 % le pourcentage d’élèves harceleurs (qui l’avouent), contre 8 % de victimes. Leur profil : ils se multiplient jusqu’à atteindre leur nombre maximum à l’entrée au collège, diminuant ensuite au lycée. Ils sont souvent plus âgés et plus grands que leurs vic­times. Les garçons dominent en nombre en matière de harcèlement, autant en position de victimes que de bourreaux. « Mais, concernant le cyberharcèlement, ce sont les filles qui tiennent le haut du pavé », observe Jean-Pierre Bellon.

Ce sont d’ailleurs deux filles, Julie et Laura, qui ont commencé à harceler Noémya Grohan lors de son entrée en sixième. Dans son témoignage, De la rage dans mon cartable (Éd. Hachette), celle-ci raconte comment une légère disgrâce physique (une déviation de la mâchoire causée par un accident de voiture subi à l’âge de 7 ans) lui a valu le surnom de Guizmo (l’un des Gremlins) et une question récurrente de la part de ces deux moqueuses : « De quelle planète tu viens ? » Celles-ci ont ensuite multiplié rumeurs et insultes contre elle.

Il faut dire que Noémya excellait en foot, talent inattendu pour une fille qui lui a sans doute valu tous ces malheurs. Les harceleurs, s’ils n’ont aucune empathie pour leur victime, détestent de manière générale les qualités dont eux-mêmes sont dépourvus : une certaine originalité, hypersensibilité, sentimentalisme…

Sur Internet, de nouvelles formes de bullyiers apparaissent, et Bellon et Gardette les énumèrent : « les avides de pouvoir », « les revenger nerds » qui se défoulent le soir pour se venger des humiliations reçues dans la journée en diffusant du « sexting » (messages et photos pornos) sur leur portable, les « mean girls » (mauvaises filles)… Triste troupe qui va devoir être prise en charge par les psychologues avec de nouvelles approches. « Le harcèlement à l’école balaie en effet toutes les idées que nous avions sur la violence générée par le milieu social, précise Jean-Pierre Bellon. En revanche, il faut aider ces adolescents à utiliser leurs compétences – humour, habileté, leadership… – à bon escient. »