La réflexion que j’expose ici sur la problématique de la sexualité précoce s’est développée au travers de l’expérience acquise dans une consultation de gynécologie-endocrinologie pour adolescents, et dans des animations d’espaces paroles autour de la sexualité en milieu scolaire.
QUELQUES ASPECTS QUANTITATIFS
La proportion d’adolescents, filles ou garçons, qui ont leurs premières relations sexuelles avant 15 ans est estimée à 20 %. Le taux de jeunes sexuellement actifs augmente ensuite rapidement, et dans des proportions semblables dans les pays développés. Entre 17 et 18 ans, 50 % des jeunes ont vécu au moins une relation sexuelle avec pénétration, et plus d’un tiers déclare avoir déjà noué une relation durable. Les garçons sont plus nombreux dans le groupe des « initiateurs précoces ».
L’engagement affectif est significativement moindre pour les initiateurs précoces que pour les « initiateurs tardifs », surtout chez les garçons, alors que chez les filles, un engagement affectif est majoritairement présent dès les premiers rapports. Chez les plus jeunes, les facteurs normatifs, liés à la pression du groupe ou l’insistance du partenaire semblent jouer un plus grand rôle que chez les plus âgés. Cela étant, I’importance de ce facteur dans les motivations aux premiers rapports est très élevée. L’apprentissage de la vie affective et sexuelle se fait au travers de relations qui peuvent être brèves, bien que souvent intenses.
Le dialogue sur la contraception est peu fréquent entre partenaires sexuels. Les initiateurs tardifs utilisent plus souvent que les autres une contraception aux premiers rapports. Dans l’ensemble, le préservatif a permis une augmentation des taux de protection aux premiers rapports, puisque ce taux, qui a longtemps stagné à moins de 50 % quand la pilule était le seul moyen contraceptif utilisé, est aujourd’hui supérieur à 75 %.
Peut-on, quant à nous, ainsi définir chez les filles ou les garçons, une problématique spécifique liée à la survenue de rapports sexuels précoces, et identifier un groupe « d’initiateurs précoces » ?
Il n’est pas simple de donner une définition des rapports sexuels précoces. Pour certains, le terme de sexualité précoce est utilisé pour désigner les adolescents qui ont des rapports sexuels, ce qui signifierait que la survenue de relations sexuelles à l’adolescence est toujours précoce. Pour d’autres, compte tenu du fait que l’âge moyen des premiers rapports est de 17 ans, pratiquement identique chez les filles et les garçons, la sexualité précoce est définie par la survenue des premières relations sexuelles encore plus précocement.
Faudrait-il penser que la moyenne statistique définit une norme, et si norme il y a serait-elle censée définir une frontière entre normal et pathologique ?
Quelques exemples empruntés à l’histoire ou à d’autres cultures nous incitent à relativiser le concept de précocité en matière de sexualité : ainsi, des filles à peine pubères étaient et sont encore mariées (avec ou sans leur consentement). À l’évidence, ce n’est pas la sexualité précoce qui était ou est encore dans certaines cultures considérée comme précoce, mais la sexualité hors mariage. Ces exemples démontrent bien que les références à une norme en matière de sexualité sont essentiellement de nature culturelle.
Comment pouvons-nous, en tant que médecins, aborder cette problématique de sexualité précoce ?
Nos critères vont naturellement faire référence à l’appréciation de critères de maturation. L’âge chronologique est à l’adolescence un très mauvais critère pour évaluer non seulement le développement pubertaire, mais plus encore la maturité psychoaffective d’un adolescent donné.
DEVELOPPEMENT PUBERTAIRE
Au plan de la maturation pubertaire, on observe une grande variabilité de l’âge de survenue des processus pubertaires qui sont bien reflétés par la variabilité de l’âge de la ménarche (menstrues et arkhê : commencement = Âge de l’apparition des premiers règles aux environs de la puberté soit environ entre 13 et 15 ans chez les européennes).
Ainsi, dans les extrêmes, la survenue des premières règles se situe pour les plus jeunes autour de dix ans, et pour les plus âgées autour de 18 ans. L’âge moyen des premières règles est actuellement de 12 ans et demi.
DEVELOPPEMENT PSYCHOAFFECTIF ET SEXUEL
Le développement psychoaffectif ne peut être réduit aux seuis termes de maturation pubertaire. L’évaluation des capacités d’autonomie et de responsabilité des adolescents constitue un problème central pour les médecins qui s’occupent d’adolescents; I’irruption de la problématique de la sexualité, centrale à cet âge, va nous interpeller sur l’appréciation du développement psychosexuel et la maturité psychologique d’un adolescent donné. Si cette évaluation est importante, force est de constater que nous ne possédons ici aucun critère de référence blologique et simplement mesurable.
Pour tenter de répondre à cette question de l’évaluation de la maturité psychologique des adolescents, il faut en revenir à la pratique clinique. La consultation de gynécologieendocrinologie est un lieu particulièrement privilégié pour comprendre comment les adolescents vivent les processus de sexualisation et comment ils se situent dans la problématique de la sexualité. Il est toujours nécessaire d’aborder, et ce quel que soit le motif de la consultation, les besoins liés à la sexualité, qu’il s’agisse d’une simple information ou de besoins plus concrets quand l’éventualité d’une première relation est envisagée.
Maturité et premières relations sexuelles
La question de la maturité est souvent exprimée de façon très simple par les adolescents qui n’ont pas encore eu de relations sexuelles. On entend souvent dire dans ces conditions « je ne me sens pas prêt », ou encore « ce n’est pas mon problème pour le moment » ou enfin « je suis trop jeune »… Ces paroles, on peut les entendre aussi bien chez un(e) adolescent(e) de 15 ans, que chez un jeune beaucoup plus âgé.
Comment peut-on les interpréter ?
Si on perçoit des propos authentiques, c’est-à-dire qui ne sont pas sous-tendus par des défenses rapidement perceptibles, ils témoignent d’une évolution harmonieuse dans laquelle nous n’avons pas à intervenir, sinon pour signifier qu’on reparlera de sexualité le moment voulu, et pour renforcer l’adolescent(e) dans ses sentiments, sentiments qui peuvent être mis à mal par des pressions normatives issues de l’environnement (groupes ou pairs, ou petit ami, voire… parents).
Conduites d’évitement
D’autres adolescent(e)s sont à l’évidence très mal à l’aise dès qu’on aborde la problématique de la sexualité, et vont rester silencieux ou vont faire dévier rapidement l’entretien sur d’autres sujets. Certains jeunes ont en effet une peur très grande de tout ce qui réfère à la sexualité, voire pour certains à la sexualisation, comme on peut l’observer de façon caricaturale chez les filles anorexiques. Il n’est pas rare d’observer de telles conduites chez des adolescents atteints de maladies de long cours, notamment les maladies qui ont un impact sur le développement pubertaire.
Ces conduites d’évitement vis-à-vis de la sexualité peuvent aussi s’observer chez ceux qui n’ont aucune maladie organique, mais qui vivent dans un climat de dysfonctionnements relationnels importants avec des parents qui les enferment dans leur enfance et ne peuvent les laisser sortir de ce statut sans mettre en péril la cellule familiale (le terme de cellule fait ici plus référence à son sens carcéral qu’à son sens d’unité vitale). Si on en revient à notre problématique de sexualité précoce, force est de reconnaître qu’il y a des << non-précocités >> qui sont véritablement l’un des symptômes de réelles pathologies.
Premières relations regrettées
A contrario, ceux ou celles qui ont déjà eu des relations sexuelles évoquent rarement leur maturité psychologique, à l’exception des filles qui, après des premiers rapports qui se sont passés dans la confusion et sans qu’elles l’aient véritablement voulu, en expriment le regret. Celles-là se sont souvent senties contraintes par le petit copain, ou ont été surprises par des situations imprévues, dans lesquelles elles n’ont pas été capables de dire non, sans avoir vraiment dit oui… C’est alors que, dans l’après-coup, elles peuvent venir nous demander si elles sont encore vierges, s’il y a vraiment eu des rapports complets.
Les regrets très fréquents exprimés par les adolescentes après les premiers rapports dépassent largement le cadre décrit ci-dessus, et réfèrent souvent au sentiment de s’être « faite avoir » ce qui signifie qu’elles se seraient trompées sur la nature des sentiments du petit ami, qui, lui, « n’aurait voulu que ça » c’est à dire des rapports sexuels. Si dans certains cas, des garçons peuvent exploiter ies sentiments amoureux de leurs amies pour avoir des relations sexuelles, le plus souvent, la réalité est très certainement différente et plus complexe, ce d’autant que ce sont souvent les filles qui rompent rapidement après les premières relations sexuelles.
De façon paradoxale, alors que dans bien des cas, les premières relations semblent décidées, on observe une tendance très générale des filles à vouloir se situer dans une position de victime, victime de la sexualité des garçons. Ainsi peuvent-elles minimiser leur responsabilité après coup, dans des situations où probablement l’influence et les normes des pairs ont joué à leur insu un rôle important dans les « décisions » d’avoir les premières relations sexuelles. Le sentiment d’avoir été utiiisée ou d’être convoitée comme un objet à des fins purement sexuelles, alors que leur demande à elle est essentiellement de nature affective, est le différend majeur qui oppose filles et garçons à l’adolescence.
Il est important que ces filles puissent exprimer leurs regrets et qu’elles puissent à nouveau se sentir libres. Libres de différer les prochaines relations sexuelles si tel est leur souhait : ce n’est pas parce qu’on a eu une relation sexuelle qu’on est obligée d’en avoir d’autres dans l’immédiat. Mais capables également d’avoir d’autres relations sexuelles qui pourront bien se passer quand elles le voudront vraiment : ce n’est pas parce qu’un premier rapport s’est mal passé que toute la vie sexuelle est condamnée.
S’il est important que ces filles puissent exprimer leurs regrets, il est tout aussi important de tenter de leur faire prendre conscience de leurs responsabilités dans ces histoires, pour les faire sortir d’un statut de victime, et de démonisation des garçons.
Initiateurs précoces aux biographies lourdes
Il n’est pas rare que ceux qu’on désigne sous le terme d’initiateurs précoces aient des biographies plus lourdes dans l’ensemble que les initiateurs tardifs. J’entends notamment par biographies lourdes :
- des antécédents de maladies de long cours, qui peuvent jouer autant dans un sens freinateur que dans un sens accélérateur de la sexualité;
- des histoires familiales difficiles, notamment quand elles ont généré des situations d’abandon pour l’adolescent;
- des violences intra familiales, souvent subies par l’adolescent;
- des handicaps psychosociaux.
Pour certains, tous ces facteurs peuvent se cumuler, et il est fréquent d’y trouver associé un échec scolaire.
De ces biographies ravageuses naissent souvent des adolescents ravagés, qui disent leur détresse au travers de passages à l’acte multiples et répétés, passages à l’acte qui se trouvent réduits dans le langage épidémiologique à des « comportements à risque ». Si ces comportements sont évidemment à risque pour ces jeunes, pour eux il s’agit avant tout d’un langage, souvent le seul dont ils disposent, afin d’exprimer la violence qu’ils ressentent envers le monde et envers eux-mêmes. Pour les filles, la sexualité est un terrain privilégié de passages à l’acte, au travers de mises en acte sexuelles précoces, et d’aventures sexuelles réitérées. C’est dans ces situations que le risque de grossesse, et de maladie sexuellement transmissible est le plus élevé.
On peut cependant penser que les passages à l’acte de nature sexuelle ne sont pas toujours les plus négatifs, même s’ils comportent des risques. Par leurs comportements sexuels, ces filles expriment un immense besoin d’amour et de reconnaissance. Dans ces conditions, le plus souvent, elles ne trouvent pas ce qu’elles recherchent. Mais les hasards peuvent faire que l’on « tombe » sur un garçon ou sur une fille gentille et supportif, compagnons qui peuvent être d’un secours infini dans des situations dramatiques, et qui peuvent devenir les moteurs à survivre et à trouver de l’aide.
Quand les initiateurs précoces sont des initiés…
On ne peut malheureusement pas oublier celles, nombreuses, dont les premiers rapports sexuels sont subis, qui n’ont ni choisi, ni désiré d’en avoir. Les adolescentes sont la cible privilégiée des agressions sexuelles et des situations incestueuses, qui parfois ont débuté dans l’enfance. De ce fait, les filles qui ont les rapports sexuels les plus précoces sont manifestement celles qui ne souhaitaient pas en avoir, sauf à prendre les désirs Eudipiens au pied de la lettre… Cette collusion des fantasmes et de la réalité est l’une des souffrances supplémentaires que ces filles ont à vivre. Au plan pratique, soulignons que les adolescentes porteuses de maladies chroniques, et plus encore de handicap mental, constituent une cible privilégiée d’agressions sexuelles et de situations incestueuses.
Ainsi, dans une statistique réalisée dans notre consultation en 1990, 38 % des consultantes étaient des malades chroniques; dans ce groupe, on retrouvait 8 % de filles ayant été victime d’une situation incestueuse, et 15% ayant subi une agression sexuelle. Les antécédents de violences sexuelles perturbent très souvent la sexualité. On peut ainsi observer des blocages à établir des relations affectives ou une difficulté majeure à avoir des relations sexuelles, ou, a contrario, des comportements sexuels avec partenaires multiples sans investissement affectif, avec prise de risques délibérée dans une volonté d’agresser son corps.
Des comportements et des risques très différents d’un adolescent à l’autre
Si la précocité des relations sexuelles est repérée comme un facteur de risque important, d’une part du fait des comportements à risque plus fréquents, d’autre part, du fait de la vuinérabilité aux infections, il ne faut pas oublier que les jeunes ont des profils très différents, qui vont les conduire à avoir des comportements très différents. Pour certains, les risques sont limités. Il s’agit d’adolescents qui vont bien et sont plutôt satisfaits de leur vie. Ils sont bien intégrés socialement et scolairement. Ce sont des expérimentateurs précoces, pressés de donner, du moins à certains égards, des images d’adultes.
C’est ainsi qu’on peut observer des premiers rapports en série dans un groupe de copines, dans des comportements d’imitation. Les changements de partenaires sont fréquents, et la durée des relations brève. Les prises de risques sont à situer dans un contexte ludique et non dans un contexte d’autoagression. Elles sont de toutes façons limitées et souvent réduites aux premières expériences sexuelles, où l’utilisation du préservatif peut être irrégulière. Mais ces jeunes ont un comportement d’expérimentation qui a néanmoins intégré des limites et c’est très rapidement et très largement que le préservatif est utilisé par la majorité d’entre eux. Dans ces situations, il est essentiel d’amener l’adolescent à s’interroger sur ce qu’il cherche à travers ces relations, et ce qu’il y trouve effectivement, ce qui peut parfois le conduire à vouloir modifier ses comportements sexuels.
Vécu positif de relations sexuelles précoces
Il existe des adolescentes qui, très jeunes, vivent de façon volontaire et tout à fait positive des relations sexuelles, et qui y trouvent un réel épanouissement. Certes, ces filles sont l’exception, mais comme le dit si justement Birraux « quand la norme, statistiquement, c’est la loi du plus grand nombre, mais quand ce plus grand nombre fonctionne par exemple de façon totalitaire, la norme n’est-elle pas du côté de ceux qui sont repérés comme déviants ? «
DEFINITIONS ?
Si la maturité psychosexuelle d’une adolescente devait répondre à une définition, on pourrait peut-être décrire comme suit une jeune fille mature : C’est une jeune fille qui choisit de façon libre, autonome, réfléchie, responsable, d’avoir des relations sexuelles avec la personne de son choix. Cela étant, en matière de sexualité, je ne suis pas sûre que beaucoup d’adolescents, ni d’ailleurs beaucoup d’adultes, aient une sexualité qui réponde à cette définition, définition qui a les qualités de la rationalité, mais qui gomme par trop tout ce que le désir peut avoir d’imprévisible, d’inconscient, de non maîtrisable.
Une autre définition de la maturité psychosexuelle, ou plutôt une définition complémentaire se devrait de faire avec cette imprévisibilité, cette force et cette vitalité du désir : une personne mature serait porteuse d’un désir qui chercherait à prendre corps dans une relation affectivement et positivement investie, dans une recherche de soi et si possible de l’autre. Cette dernière dimension, la recherche de l’autre, est souvent absente à l’adolescence où la recherche de soi (recherche de soi y compris à travers l’autre dont on utilise surtout la fonction de miroir) est le moteur prépondérant des relations affectives et sexuelles, dans cette quête identitaire si particulière à cette période de la vie.
Le concept de maturité psychosexuelle ne saurait faire abstraction des conditions d’apprentissage que réalisent toute adolescence : c’est par essai et erreur que l’adolescent va pouvoir accéder à cette maturité que nous nous obstinons, nous adultes, à exiger de lui d’emblée, avant même qu’il ait pu éprouver ses sentiments et son corps. Ce concept de maturité ne peut s’envisager comme un phénomène de tout ou rien, mais comme un cheminement, une progression qui n’est ni droite ni linéaire, et qui comporte des allers et retours, des tours et des détours.
À ce concept doit être associée la notion essentielle d’une « utilisation positive » d’une sexualité désirée par l’adolescente elle-même, pour elle-même, pour se faire du bien, et non pas pour se blesser. Une relation sexuelle réussie, si ce n’est mature, devrait permettre à l’adolescente de s’enrichir et de poursuivre une évolution positive. Elle devrait donner du plaisir (ce qui n’est en rien une obligation de jouissance qui ne peut que terroriser et conduire à être tellement à l’écoute de ses sensations qu’on passe à côté de l’essentiel, c’est-à-dire ce qui se passe dans cet entre-deux des corps).
Si ces définitions permettent peut-être de mieux cerner la question de la maturité psychosexuelle, elles ne sauraient définir le sentiment amoureux, sentiment complexe et violent qui touche l’humain au plus profond de son intimité, et dont la littérature, la poésie, la musique… sont seuls à même de nous en dire quelque chose.
EVALUATION DES POTENTIELS OU LIGNES DE FORCE MIS EN JEU DANS LA SEXUALITE
Finalement, après ces observations, force est de constater qu’il n’y a pas de frontière claire en terme d’âge chronologique délimitant un état de maturité psychoaffective permettant des relations sexuelles, et un état de prématurité qui ne le permettrait pas.
Cela étant, le législateur a retenu l’âge de 15 ans, comme étant celui qui permet à un adolescent d’avoir des relations sexuelles avec la personne de son choix. Mais les incohérences de la loi traduisent bien les difficultés d’établir des normes en matière de sexualité : ainsi, la loi autorise les mineures, et ce quel que soit leur âge, à obtenir une contraception, de façon anonyme et gratuite, sans autorisation de leurs parents, dans les centres de planification, comme elle reconnait à une mineure, et ce quel que soit son âge le droit d’avorter (avec l’autorisation d’opérer d’au moins l’un de ses parents), ou comme enfin elle lui reconnait le droit d’une autorité parentale pleine et entière concernant l’enfant qu’elle met au monde.
Pour nous, médecins, il ne s’agit pas de permettre ou d’interdire la sexualité, mais d’aider un(e) adolescent(e) en l’aidant à comprendre ce qu’il ou elle joue, et ce qui se joue, au travers de la sexualité, parfois positivement, parfois négativement. L’évaluation « de lignes de force positives et négatives » (V. Courtecuisse) peuvent être analysées à partir des quatre facteurs suivants…
Les motivations des adolescents pour s’engager dans une relation sexuelle
La problématique de la prévention des risques liés à la sexualité, à savoir grossesses, MST et Sida, esl devenue tellement prépondérante, tant pour les médecins que pour les parents et pour l’ensemble du corps social, que l’interrogation fondamentale vis-à-vis de la sexualité est aujourd’hui totalement absente : on ne se demande plus, et on ne demande plus aux adolescents pourquoi ils font l’amour, mais comment ils le font : avec pilule, avec préservatif… Pourtant, on ne peut éluder la question du pourquoi qui reste encore aujourd’hui essentielle.
On peut résumer ainsi les motivations à avoir des relations sexuelles :
- il y a les relations sexuelles engagées pour soi, par exemple pour tester son pouvoir de séduction, pour prouver sa virilité, pour affirmer sa féminité, pour trouver de l’affection, du plaisir…;
- pour les filles, il y a les relations sexuelles engagées pour le petit ami : pour lui faire plaisir, ou parce qu’on l’aime et qu’on a envie de lui donner << ça >> comme ultime preuve d’amour, ou plus douloureusement parce qu’il l’a exigé et que l’on craint de le perdre s’il n’y a pas de rapports…;
- il y a les relations sexuelles engagées pour les autres, pour faire comme les autres, pour ne pas se sentir marginalisé…;
- il y a les relations sexuelles engagées contre les autres : notamment contre des parents qui interdisent l’accès de leurs adolescents à la sexualité. Quand des rapports sont ainsi « dédiés » et ont pour fonction essentielle de transgresser des interdits, il est rare qu’ils soient vécus positivement…;
- il y a enfin les relations sexuelles engagées contre soi, vécues comme une agression d’un corps détesté, et perpétuellement réitérées dans une spirale autodestructrice où les mises en actes sexuelles ne sont que l’une des formes que prennent les passages à l’acte multiples et de nature variée observés dans ces situations dramatiques (utilisation de toxiques, tentatives de suicide, etc.).
Ainsi, les relations sexuelles doivent être envisagées dans le cadre d’une problématique plus large et centrale à l’adolescence, celle de l’agir. Les premières expériences sexuelles constituent l’un des « agir », essentiels à cet âge. L’adolescent a besoin de faire, d’éprouver, dans le double sens de ressentir et de se mettre à l’épreuve, de se tester, avant de pouvoir éventuellement, dans l’après- coup, en dire quelque chose. Une des finalités des premières relations sexuelles, c’est d’éprouver la réalité de ce corps, et d’apprendre ainsi peut-être que « j’étais fait pour avoir un corps » comme le dit si justement Albert Camus dans << L’été >.
Le partenaire sexuel
Le deuxième « facteur » à envisager dans les lignes de force, c’est l’autre, celui qu’on désigne sous le terme bien peu seyant de partenaire sexuel. Cet être réel, avec qui on fait l’amour a heureusement sa propre dynamique dans la relation. Ainsi, en fonction de sa personnalité et de son investissement affectif et amoureux, il peut faire évoluer en positil des motivations au départ négatives, comme il peut faire évoluer en négatif une relation au départ positive…
Le vécu de la sexualité
Le vécu de la sexualité va jouer un rôle importanl dans les lignes de force. Une ou des motivations positives, un ami aimé, aimant et tendre sont certes des atouts pour vivre une sexualité épanouissante. Si ces facteurs sont le plus souvent nécessaires à une vie sexuelle où le plaisir ait sa place, ils ne sont pas toujours suffisants notamment à l’adolescence où les premières expériences sexuelles sont chargées de beaucoup d’appréhensions.
L’absence de jouissance est une plainte fréquente des filles et a souvent une toute autre signification que les situations réelles de frigidité observée chez des femmes adultes. Dans nombre de cas, les rassurer sur leur normalité va permettre de dénouer les problèmes. Il est utile de leur expliquer que pour tout dans la vie, il faut du temps, il faut apprendre. Ici, il faut s’apprendre, il faut apprendre son corps.
Chez les garçons, les difficultés d’érection sont très dramatiquement vécues et les difficultés pour en parler sont très grandes. C’est au médecin d’instaurer un climat de confiance et de << tendre des perches >> qui permettent d’en parler. Examiner les adolescents pour vérifier que tout va bien, dédramatiser et les rassurer, est essentiel et souvent suffisant.
A contrario, avec des motivations négatives, ou un(e) ami(e) peu investi(e), les rapports sexuels ont peu de chance d’être vécus positivement, et ce plus ouvent pour les filles que pour les garçons. Mais l’absence de plaisir ou les douleurs aux rapports n »en inquiètent pas moins les adolescentes. Il est important de leur permettre de prendre conscience que les conditions affectives dans lesquelles se sont déroulées ces relations ne leur permettaient pas de les vivre autrement que négativement. Ce n’est pas elles, en tant que femmes « anormales » (c’est un terme bien (trop) souvent répété par les adolescentes), qui sont ici en cause et la cause.
Le vécu de la sexualité peut aussi être perturbé par l’absence de contraception, qui inquiète souvent les adolescents au moment des rapports, et peut conduire à modifier de façon frustrante leur réalisation.
Les réactions parentales
Les réactions parentales jouent un rôle majeur sur la sexualité des adolescents. Dans certaines familles, minoritaires aujourd’hui, la sexualité à l’adolescence est proscrite.
Dans les cas les plus rares, il s’agit de valeurs religieuses où la sexualité est inscrite dans le mariage; dans ces familles, quand la communication parents-enfants existe, que les adolescents reprennent à leur compte les valeurs parentales, la virginité est valorisée et l’absence de rapports est vécue positivement et sans problèmes.
Quand les interdits font plus référence à des traditions culturelles qu’à des valeurs religieuses, quand les interdits sont édictés au sein de familles en difficulté, qui se défendent contre un environnement mettant à mal leurs valeurs, quand les interdits sexuels s’associent à d’autres violences, ils ont toute chance d’être transgressés, pour tout à la fois agresser sa famille, tenter de s’en libérer, mais finalement en rester prisonnier puisque la sexualité n’est pas agie pour soi. Dans ces situations, il est fréquent d’observer non seulement des comportements sexuels précoces, mais aussi des grossesses, des tentatives de suicide…
Dans les cas plus habituels, les discussions sur et autour de la sexualité au sein des familles est possible, voire dans certains cas obligée. S’il est important pour l’adolescent d’avoir une famille, ou plus souvent une maman, à qui » on peut parler de ça et qui peut comprendre » il y a aussi des parents qui autorisent une sexualité, sous réserve qu’on leur en dise tout. Nécessairement dans ce dernier cas, on n’en parlera souvent pas directement, mais un acte manqué (comme un préservatif oublié, etc.) viendra signifier. Ces accidents vont être à l’origine de petits drames, où l’adulte se sent trahi, parce qu »on ne lui a pas dit ». Le médecin, consulté souvent ensuite pour la contraception devrait pouvoir avoir un rôle de médiateur, et permettre à la confiance de se restaurer, en expliquant qu’il y a plusieurs façons de dire, le langage n’étant pas souvent le plus simple pour parler de la sexualité à ses touts débuts.
Dans d’autres cas, la discussion sur la sexualité n’est pas possible pour les parents, qui ne se sentent pas capables d’en parler. C’est alors au médecin, souvent le gynécologue, chez qui on conduit l’adolescente, qui, lui, devrait » dire » ou à tout le moins donner une contraception « au cas où ». Si parfois ces consultations sont difficiles, elles peuvent aussi être très utiles et émouvantes, notamment quand une maman arrive à faire part de ses difficultés et de ses limites, ce qu’on peut l’aider à faire au cours de la consultation.
La perception que les adolescents ont des réactions parentales, de ce qui est dit et non dit, a une importance majeure sur la façon dont ils vont vivre leur sexualité. Si une libération sexuelle a eu lieu, la problématique de la relation aux parents dans le dire et le faire de la sexualité adolescente est loin d’être simple et univoque.
CONCLUSION
Le médecin qui prend en charge des adolescents, ce qui est le cas aussi du pédiatre, est confronté à la sexualité des adolescents au travers de la prise en charge de la contraception et des MST. Il est aussi souvent requis par les parents ou par l’institution scolaire pour participer à leur « éducation sexuelle ».
Pour ce faire, il est indispensable d’avoir intégré que la sexualité ne se limite pas à ses risques médicaux. Pour une majorité d’adolescents, elle inclut la capacité de s’engager dans une relation d’intimité et d’échanges sur des bases de confiance. Les adolescents vont acquérir leur maturité psychosexuelle dans les conditions d’apprentissage que réalisent toute adolescence : c’est par essai et erreur que l’adolescent va pouvoir accéder à cette maturité qui demande qu’il ait pu éprouvé ses sentiments et son corps. Ce concept de maturité ne peut s’envisager comme un phénomène de tout ou rien mais comme un cheminement, une progression qui n’est ni droite ni linéaire.
Article rédigé par N. Athéa