Article rédigé par le Dr Jean-Michel Hérin, Centre Hospitalier de Cornouailles, Avenue Yves Thépot, 29000 Quimper, acuhypnose@gmail.com
Résumé : L’hypnose et l’acupuncture ont de nombreux points communs basés sur des techniques de communication thérapeutique et sur l’utilisation des propres ressources des patients. L’utilisation conjointe de ces deux techniques pourrait les rendre encore plus pertinentes. Mots clés : hypnose – acupuncture – gynécologie – obstétrique.
Summary: Hypnosis and acupuncture have many commonalities based on therapeutic communication techniques and on the use of patients own resources. Using these two techniques together could make them even more relevant. Keywords: hypnosis – acupuncture – gynecology – obstetrics.
Un KO au chaos
Il y a dans la vie des phases de stabilité, d’homéostasie psychologique. À la faveur d’un événement malheureux, ou parfois à l’occasion d’un grand bonheur, une rencontre amoureuse, une réussite à un examen, une promotion professionnelle, on passe par une phase chaotique avec des hauts et des bas, avant de retrouver une nouvelle phase de stabilité. La Médecine Traditionnelle Chinoise (MTC) décrit très bien ces cycles d’évolution de la vie, ces périodes de changement. Même en retournant le schéma, on va toujours de plus bas à plus haut (figure 1). Ces hauts et ces bas évoquent des vibrations. On peut alors imaginer que pour traverser ces périodes où l’on évolue il faut vibrer. Comment ?
Nous avons deux outils formidables pour cela : notre corps, avec ses points d’acupuncture, et notre esprit inconscient, qui n’a rien à voir avec Freud. Il est simplement un mécanisme protecteur, s’activant automatiquement dans les situations difficiles, notre espace de ressource, de solutions, où sont stockés tous nos apprentissages, depuis notre première respiration. Un peu comme le «cloud», le nuage, où sont stockées toutes nos données. L’esprit inconscient effectue automatiquement, au cours de cycles ultradiens, les mises à jour, les sauvegardes, télécharge les bonnes applications, et ce de manière inconsciente. De la même manière, lors d’une séance d’hypnose, les processus de guérison mis en jeu resterons inconnus par le patient. .. et par le thérapeute ! On rajoute que ces processus correspondent à la création de nouvelles connexions synaptiques, favorisant la plasticité cérébrale.
Cet esprit inconscient s’inscrit dans l’esprit inconscient collectif, que l’on peut rapprocher de la voie du Tao, des archétypes de Jung, mais aussi du zhongqi, cette énergie qui nous vient de nos ancêtres, ou de notre jing inné.
La MTC appréhende l’Homme entre Ciel et Terre
L’hypnose prend en charge un individu « ici et maintenant », au cœur de son système de vie familial, amical, professionnel, avec tout ce qui l’anime et lui procure de la ressource pour en faire un être en harmonie intérieure, et en harmonie avec son milieu extérieur, signe de bonne santé mentale et physique.
Lors des stages pratiques effectués pour valider mon cursus d’acupuncteur j’ai été marqué par cette ultime question que posait Vincent Mosser, médecin acupuncteur et Maitre de stage, à la fin d’un interrogatoire minutieux : « Y a t-il autre chose que j’ai besoin de savoir pour vous aider ? ». Je réalisais alors combien la rencontre entre patient et thérapeute s’inscrit dans une intimité à la recherche de la vérité profonde des patients, chère à Ernest Rossi [[i]]. Je réalisais également combien les patients sont vulnérables dans la maladie et combien cette vulnérabilité les rend suggestibles à toutes les suggestions. Il peut s’agir de la suggestion hypnotique, mais le nom des points d’acupuncture n’est il pas une suggestion de guérison ?
Ceci est valable en particulier lors de l’accouchement, dont les patientes se souviennent de chaque détail. Nous sommes les acteurs de ce moment important. Voici quelques éléments destinés à en faire un souvenir encore meilleur.
On parle volontiers de processus hypnotique, allant de la conscience vigile à l’hypnose conversationnelle, jusqu’à la transe hypnotique profonde. Les techniques hypnotiques serviront à accompagner, confortablement, des gestes diagnostics ou thérapeutiques, chez des patientes qui n’ont pas demandé d’hypnose. Nous n’avons alors pas besoin de la coopération des patientes, contrairement au cas où les patientes demandent une séance d’hypnose pour arrêter de fumer, ou se préparer à l’accouchement. Nous aurons alors besoin de leur coopération et de leur confiance.
Parmi les nombreuses similitudes entre l’acupuncture et l’hypnose, évoquons la notion d’empathie, merveilleusement décrite par Martin Buber ou Adam Smith dans « Autrui » [[ii]], que l’on peut rapprocher de la notion de disposition : l’attitude du patient, comme celle du thérapeute. Les deux protagonistes s’apprêtent à accueillir l’échange, un peu comme s’ils se mettaient sur la même longueur d’onde -on retrouve la notion de vibration à l’unisson- ceci en érigeant leur antennes, que l’on rapproche de la notion de neurones miroirs, les fameux neurones de l’empathie. Ces neurones activent chez les soignants les mêmes zones cérébrales que celles des patients en état hypnotique.
L’empathie favorise l’intuition thérapeutique, comme si les inconscients du patient et du thérapeute se connectaient en wifi.
On rapproche de l’empathie le yi de l’acupuncteur : son intention de guérir qui va, là encore, développer son intuition. François Petitjean, médecin acupuncteur et enseignant à Strasbourg, parle de la déférence avec laquelle nous allons puncturer le point. Nous avons à l’esprit la notion du « point qui appelle l’aiguille ». Le yi est chargé de l’énergie du thérapeute, tout comme François Cheng évoque le yi du calligraphe avant son geste calligraphique.
Les techniques de mirroring permettent au thérapeute de mieux se synchroniser au patient, tout comme la technique du pacing, où le thérapeute cale sa respiration sur l’expiration du patient, ou tout comme l’acupuncteur ponctue en fonction des cycles respiratoires. Ces techniques permettent de modifier l’état émotionnel des patients quand cela est nécessaire.
Hypnothérapeute et acupuncteur travaillent énormément sur les émotions et ont pour rôle de ratifier les émotions, positives ou négatives, susceptibles de se manifester pendant la séance, tout en respectant l’intimité des patients, n’ayant besoin de connaitre uniquement les informations utiles à la thérapie.
La pratique de l’hypnose est une affaire de technique et de travail, tant pour le thérapeute que pour les patientes, qui vont permettre à ces dernières de prendre le contrôle des processus de soins, grâce à la position basse du thérapeute («dites moi quand vous êtes prêt»). ..
Les techniques sont basées sur des techniques de communication thérapeutique : observer, puis utiliser les informations données par l’observation du langage verbal, paraverbal et non verbal, ainsi que sur la communication entre les inconscients du thérapeute et de la patiente. Rappelons que le langage non verbal c’est s’assoir à côté de la patiente, plutôt que rester debout et la regarder de haut. C’est, pendant un soin, une main offerte. Pendant une pose de péridurale, c’est une main posée sur l’épaule, invitant à la détente . ..
On évoque la notion «d’asepsie verbale», où l’on utilise un langage protecteur évitant les négations et des termes à connotation négative comme «piquer», ainsi que la notion d’asepsie gestuelle, ayant pour préoccupation, en particulier, de respecter la pudeur des patientes. On rappelle que les points shu antiques permettaient de traiter les patientes sans les découvrir.
L’hypnose met en jeu des processus idéomoteurs, comme la catalepsie ou la lévitation, permettant de ratifier la transe hypnotique, des processus idéosensitifs permettant d’induire, par exemple, des «analgésies en gant», sans substrat neuroanatomique, et des processus idéovégétatifs, permettant d’induire, par exemple des vasoconstrictions, en cas d’hémorragie, par exemple.
Les techniques hypnotiques vont activer également la sensorialité des patientes, ce qui active ainsi les zones cérébrales Visuelles, Auditives, Kinesthésiques, Olfactives et Gustatives (VAKOG). On retrouve l’analogie avec les Cinq Éléments.
L’hypnothérapeute travaille également avec les lieux de sécurité géographiques, existants ou virtuels, les lieux de sécurité dans le temps, passé ou futur, permettant une anticipation vers la guérison, ainsi que sur les lieux de sécurité corporels, zones du corps sur lesquelles se place instinctivement la main des patients ayant besoin d’activer des processus de confort ou de réassurance. La main se pose alors souvent en regard de 15E (wuyi).
Les métaphores sont un outil extrêmement puissant qui va appliquer des techniques comme la réification permettant de «chosifier» des sensations désagréables. Il s’agit de les transformer en un objet, en une chose, dont la forme, la couleur, le bruit, la température, l’aspérité, l’odeur les rendent plus acceptables, plus confortables. Finalement, métaphores, comme sensorialité stimulent l’imagination de ces patientes, en correspondance avec les cinq éléments et les émotions…
La finalité de toutes ces techniques sera d’installer les patients dans une bulle, un cocon de sécurité et de confort, termes que nous n’aurons de cesse de «saupoudrer» inlassablement.
Nous rappelons brièvement les notions de yin et de yang, du point d’acupuncture (figure 2), lieu où règne le Vide, que l’on associe à la notion de «lâcher prise», propice aux changements des souffles vitaux, au rétablissement des circulations énergétiques. Le changement, aussi minime soit-il est, finalement, le but de tout ce travail. Nous avons, à chaque instant de notre vie, le choix d’être bien, ou pas !
On évoque les correspondances entre Éléments, Organes et Émotions, les Trois Trésors, en insistant sur le jing inné, se rapprochant du «génogramme» pratiqué en hypnose, et du jing acquis, en insistant sur les nourritures du Corps, mais aussi celles de l’Esprit et du Cœur, que l’on retrouve dans la notion de yang sheng.
L’hypnose,et/ou l’acupuncture, seront utiles pendant toute la vie des patientes, depuis le début de la puberté jusqu’à la ménopause, pour traiter les problèmes de règles, de qi et de Sang, les problèmes liés à la sexualité, à la procréation. Elles seront utiles également pendant la grossesse, pendant l’accouchement, pendant «l’accouchement par césarienne», en développant la notion de «césarienne naturelle», pendant les phases de délivrance et enfin en post partum.
Ces techniques peuvent également s’appliquer à l’entourage des patientes, ainsi qu’aux soignants (prévention du burn out). Dans tous les cas nous prenons en charge l’individu «entre Ciel et Terre», «Ici et maintenant».
Elles ont pour but de rendre les patientes, les couples, actifs dans le processus de prise en charge, de les rendre acteurs des soins prodigués.
Finalement, au vu de l’ensemble de ces données comment se passe la consultation d’ « acuhypnose » ?
L’interrogatoire se fera classiquement sur les raisons de la demande d’hypnose et/ou acupuncture, sur les antécédents médicaux, chirurgicaux, obstétricaux personnels et familiaux et sur la recherche et l’activation des ressources, réussites aux examens, accouchements précédents, expériences désagréables surmontées dans le passé, et des premiers apprentissages : « qu’est ce qui vous fait plaisir dans la vie ? »
Il sera complété par l’interrogatoire, l’examen clinique selon les règles de la MTC, débouchant sur une typologie, un diagnostic et une proposition de points.
Il est souhaitable de voir le couple, et de les inviter à mettre au clair ce qu’ils attendent l’un de l’autre le jour de l’accouchement, mais aussi sur ce qu’ils n’attendent pas l’un de l’autre. Cela permet, par exemple, d’évoquer les cris, lors de l’expulsion. Le débat est souvent animé !
Le but des séances sera d’activer la sécurité intérieure des patientes, afin de les autonomiser au mieux pour l’accouchement.
Il est intéressant de travailler sur «trois vœux» pour que l’accouchement se passe bien. Cela donne l’occasion de travailler sur un «recadrage temporel», lui montrant que, finalement, à l’acmé du travail, sur trente minutes, seules dix minutes sont réellement «inconfortables», ce qui change la vision des choses, de travailler sur la durée du travail, sur l’éventualité d’un «accouchement par césarienne» ainsi que sur la douleur des contractions.
Les points utilisés sont assez classiques, avec pour but d’équilibrer «l’Eau et le Feu» : 9R (zhubin), 5C (tongli) ou 6C (yinxi) ou 7C (shenmen), ou les benshen correspondants, afin de travailler sur l’appréhension de l’accouchement et favoriser la confiance en elles.
On travaille également sur le Po, mouvement du Métal, du Poumon, de l’incarnation, de la prise de forme, ainsi que sur le Zhi, mouvement de l’Eau, du Rein, énergie vitale, du vouloir vivre, énergie de la reproduction, de l’Essence, Jing, innée ou acquise.
La palpation systématique de 9F (yinbao), 42V (pohu), 14/15E (kufang/wuyi) ouvre souvent des pistes intéressantes. Insistons sur la nécessité d’accompagner les patientes lors des fausses couches, les Interruptions Médicales de Grossesse (IMG), les Morts Fœtales In Utero (MFIU), ou encore les Interruptions Volontaires de Grossesse (IVG).
Pendant la transe, on peut leur proposer de se connecter à toutes les femmes de sa lignée, à cette sagesse universelle, qui vont lui montrer la voie de la facilité.
On propose également l’apprentissage de techniques comme «l’analgésie en gant», les lieux de sécurité, l’anticipation dans le futur ou des méthodes de réification.
La séance se termine par des «suggestions post hypnotiques» de confiance, de facilité, ainsi que des «prescriptions de tâche», comme aller marcher dans la nature, lire tel ou tel livre, ou appliquer quotidiennement une bouillotte sur mingmen.
Il lui est suggéré de recréer pour ces moments un univers personnalisé, au moyen d’une playlist musicale, d’un album de photos, d’un plaid familier. L’accouchement est une véritable tempête de sensations corporelles et d’émotions. Il y a un moment où la patiente ne gère plus rien et doit accepter de se laisser porter par tous ces courants impétueux la menant sur une autre rive, celle de la maternité.
On utilisera les métaphores, par exemple, de la source devenant ruisseau, torrent, rivière, fleuve, qui se jette dans la mer, une mer calme, une mer sereine (analogie avec les points shu antiques), ou l’image de la rose, qui se déploie pétale après pétale. Dans la rose on peut voir la fleur, ou on peut voir l’épine.
Nous avons comme préoccupation constante de rester dans les standards de bonne pratique édictés par les sociétés savantes. Hypnose et acupuncture s’inscrivent en complément des pratiques classiques occidentales. Ainsi, efforçons nous d’assurer une traçabilité de nos consultations. On notera le motif de consultation, les données de l’interrogatoire, de l’examen clinique, du pouls et de la langue, le diagnostic et les points en découlant ainsi que leur effet sur les patientes. La consultation d’hypnose mentionnera également les données de l’interrogatoire et des ressources de la patiente, comme ses lieux de sécurité, son vocabulaire verbal, paraverbal ou non verbal, la technique d’induction de la transe, le travail effectué dans la transe, comme par exemple une réification des contractions utérines. Cette fiche sera aisément accessible aux personnes qui prendront la parturiente en charge et pourront aisément reprendre, et poursuivre le travail hypnotique effectué en préparation, pendant l’accouchement ou la pose de la «péridurable».
« Madame, vous allez être l’actrice principale de l’un des plus grands rôles de votre vie. Vous avez le choix d’en faire quelque chose de beau, ou pas. Nous sommes les rôles secondaires et sommes là pour vous aider dans ce but. Souvenez vous que « le bonheur c’est pour les heureux », et qu’au fond de vous même, vous êtes une vraie femme Barbara Gould ! »
Dr Jean-Michel Hérin, Centre Hospitalier de Cornouailles, Avenue Yves Thépot, 29000 Quimper, acuhypnose@gmail.com
Références
[i]. Rossi EL, Rossi KL. Traduction dirigée par Virot C. La nouvelle approche neuroscientifique de la psychothérapie, de l’hypnose thérapeutique et de la réadaptation : un dialogue créatif avec nos gènes. 2008. 2e version. [cited 04/12/ 2016]. Available from: URL: http://www.ernestrossi.com/documents/frenchfreebookver1.pdf .
[ii]. Szymkowiak M. Autrui. 1e ed. Paris: Collection GF corpus, Editions Flammarion; 2015.
[iii] Cheng F. Cinq méditations sur la beauté. 2e ed. Paris: Editions Albin Michel. 2013.
[iv]. Cheng F. Vide et plein. 1e ed. Paris: Collection Points Essais, Editions Seuil. 1991.
[v]. Escalle E. Le couple point-méridien : un passage de la tradition à la modernité. Acupuncture & Moxibustion. 2003;2(1-2):30-35.