De l’importance sociologique de la taille

Mesurer est une de nos principales activités quotidiennes et l’importance que revêt pour certains parents le verdict de la toise, a parfois le don de nous agacer.

Taille: Dimension d’un être vivant ou dun objet, hauteur, stature, format. La taille est un trait complexe dont l’héritabilité est très élevée.
Cependant, l’identification des gènes contrôlant ce trait est encore débutante.
Une très faible proportion de patients très petits sont porteurs de mutations géniques identifiées, laissant la très grande majorité sans explication moléculaire.
De la même façon, les gènes impliqués dans les variations de la taille à l’échelle des populations restent à identifier.
Quels avantages sont procurés aux hommes par leur taille? La taille n’est donc pas une simple variable biologique.
Elle est une donnée sociologique, d’autant plus marquante qu’elle est visible et même objective.
Les pays où la taille moyenne est la plus élevée sont la Suède,  le Danemark, l’Allemagne, et la Hollande.
En France, depuis la fin du XIXe siècle, la taille moyenne à l’âge adulte progresse, et la taille des hommes plus vite que celle des femmes: calculée chez des adultes de 20 ans, l’écart moyen de la taille des 2 sexes était de 9,7 cm en 1970, 11 cm en 1980 et 12,1 cm en 2001, essentiellement grâce  l’amélioration des conditions de vie et des conditions sanitaires.

Les déclarations de la taille sont-elles valides?

L ‘analyse sociologique de la taille des individus fait intervenir 2 types de « mesures  » de la taille: la mesure par une toise, et/ou l’interrogatoire des individus. Si l’on compare les données « de toise « et les tailles rapportées par les individus, on observe qu’un tiers des hommes se grandit à l’interrogatoire de 2 cm, en « arrondissant » vers le haut (165 pour 163 cm par exemple). Ce phénomène existe chez 15 % des femmes.

Taille, vie maritale et fertilité

Les hommes de grande taille ont une descendance plus nombreuse. Une étude anglaise publiée dans Nature en 2000 a montré que les hommes qui ont le plus grand nombre d’enfants ont 5,5 cm de plus que la taille moyenne des hommes de la cohorte. Le nombre de partenaires au cours de la vie est aussi corrélé à la taille des hommes: les hommes grands > 185 cm ont divorcé et se sont remariés deux fois plus que les hommes de moins de 165 cm (Etude réalisée sur des officiers de West Point en 2001). Ceci n’est pas vrai pour les femmes: les petites femmes ne sont pas moins en couple que celles de taille moyenne, mais les très grandes femmes si! Ceci serait lié à la puberté plus précoce des petite femmes, fertiles plus tôt.
Si les hommes de petite taille ont moins d’enfants, c’est aussi parce qu’ils vivent en couple plus tard que les grands. L’analyse par l’Insee en France en 2001 confirme que, chez les 20-29 ans, 50 % de hommes de plus de 180 cm vivent en couple, vs 40 % des 170-180 cm et moins de 30 % des homme de moins de 170 cm. Cette différence s’estompe dans la tranche d’âge suivante (30-39 ans), avec des pourcentages atteignant respectivement 76 % et 74 %, mais pas pour les personnes de moins d’1,70 m, puisqu’ils ne sont que 60 % à vivre en couple.

Est ce parce que ces hommes son petits qu’ils ne trouvent pas de conjoint? Ou plutôt parce que la taille est vécue comme le signe d’une origine sociale plus modeste? Ou bien, parce que les femmes on une attirance « naturelle « pour les grands? Si l’on interroge des jeunes adultes de 15-20 ans (med 1984) sur le portrait physique du conjoint idéal: 7 % des hommes souhaitent une femme petite, 16 % une femme « moyenne « mais la moitié des femmes mentionne la grande taille comme caractéristique principale du conjoint rêvé 70 % des femmes refusent l’idée de former un couple avec un homme plus petit qu’elles, alors que 47 % des hommes ne rêvent pas d’une femme plus grande, mais l’accepterait. Les motifs donnés par celles et ceux qui «refuseraient » un conjoint plus petit sont la peur du ridicule, la peur de problèmes psychologiques (complexes), ou bien le désir d’être dominé! Ces données sont retrouvées en Europe mais aussi en Asie, où la taille du futur conjoint est un des premiers critères rapportés.

Quelle est cette force qui, en matière d’attirance sexuelle, pousse les femmes à plébisciter les grands? La grande taille des hommes, au sens évolutif, est perçue comme un signe de la qualité des gènes dont est porteur l’individu. Il existe une norme sociale du couple « physiquement bien assorti  » dans lequel, l’homme est plus grand que la femme. En France, les hommes en couple sont en moyenne plus grand que leur compagne de 12 cm (analyse de 2 500 couples en France en 2001). Les hommes mesurant plus de 185 cm sont souvent beaucoup plus grands que leur compagne (au moins 21 cm), tandis que 15 % des hommes petits sont plus petits que leur conjointe.

Taille et jalousie

Des chercheurs néerlandais et espagnols ont demandé à 549 hommes et femmes d’estimer leur jalousie. Résultats: le degré de jalousie va de pair avec la taille. Les hommes de petite taille sont les plus jaloux. Les hommes grands eux ne s’abaisseraient pas à ce genre de sentiment parce que la taille va de pair avec l’attrait, le pouvoir, et le succès amoureux, concluent les chercheurs. Chez les femmes, il existe également un rapport entre la taille et le degré de jalousie. Mais ce ne sont pas les femmes grandes qui s’avèrent les moins jalouses mais les femmes de taille moyenne. Autre étude éclairant nos comportements amoureux: nous serions plus attirés par les individus aux jambes longues. Une conclusion obtenue par des chercheurs polonais qui ont recruté 218 hommes et femmes à qui ils ont montré des photos d’individus dont la taille des jambes avait été modifiée par ordinateur. Les hommes et les femmes aux jambes courtes sont jugés peu attirants. A l’inverse les longues jambes sont perçues comme un facteur augmentant le potentiel d’attraction, mais dans une certaine limite: si les jambes étaient rallongées de plus de 15 % de leur taille initiale les individus devenaient moins attractifs que ceux pourvus de jambes moyennes. Selon les chercheurs, l’explication tient à l’évolution: des jambes courtes ou trop longues semblent traduire une condition biologique médiocre comme des maladies génétiques, des problèmes de santé ou des réponses immunitaires faibles à des facteurs environnementaux pendant l’enfance ou l’adolescence.

Taille et milieu social

Il existe toujours en France une nette différence de taille en fonction du milieu social. Ainsi, les cadres supérieurs et professions libérales mesurent en moyenne 178 cm, soit 3,2 cm de plus que les ouvriers ou exploitants agricoles.

Taille, emploi et rémunération

Dans les sociétés démocratiques, certaines inégalités sont considérées comme injustes: à ancienneté et diplômes égaux, la moindre rémunération des femmes est perçue comme injuste, comme la discrimination sexuelle, ou des minorités ethniques ou religieuses. Pourtant, la rémunération varie aussi avec la taille, à l’avantage des grands. Un actif de 182 cm gagne 5 525 dollars de plus par an qu’un homme de 165 cm (données américaines, 2003). La participation à l’emploi pourrait être une première explication à la ‘prime à la taille « mais ça n’est pas le cas: la stature de la personne n’est pas corrélée avec le chômage. C’est le passé scolaire qui semble en cause: les fils d’agriculteurs sont ceux dont la scolarité est la plus courte. Viennent ensuite les fils d’ouvriers, d’employés, de commerçants. Les fils de cadres et de professions intellectuelles supérieures sont ceux qui font les études les plus longues. C’est une donnée rapportée en France en 2003: les hommes de petite taille sont en moyenne moins diplômés et sortent du système scolaire plus tôt. Une étude australienne présume que les garçons de petite taille sont traités comme s’ils étaient des enfants plus jeunes, et donc manquant de maturité: les enseignants les font prioritairement redoubler.
Evidemment, certains hommes de petite taille entreprennent des études longues et réussissent des examens difficiles. Ils restent cependant pénalisés dans leur rémunération: en 1996, aux USA, chaque pouce de taille supplémentaire (2,54 cm) ajoute 2 % de salaire supplémentaire.
On peut comparer cette discrimination économique aux effets de la couleur de la peau ou du genre. Les blancs, toutes choses égales par ailleurs, gagnent 15 % de plus que les noirs aux USA, 20 % de plus en Angleterre.
Les grands font de belles carrières professionnelles car ils imposent plus facilement leur autorité, favorisant l’aptitude à commander et l’avancement. Les hommes de petite taille ont moins souvent accès à des fonctions de responsabilité.
Ce privilège de la taille est vrai dans le secteur privé, mais pas dans le secteur public en France, où le recrutement et la promotion se font avec des épreuves écrites anonymes, où le jury ne rencontre le candidat que quand les jeux sont faits.

Taille et suicide

Selon une étude suédoise (American journal of Psychiatry), les hommes petits auraient, par rapport aux grands, un risque plus important de se suicider. 3 075 suicides dans une cohorte d’un million de jeunes suédois ont été analysés sur 15 ans. Il existe un lien entre la taille et le risque de suicide. Ainsi, pour cinq centimètres de moins, le risque de suicide augmenterait de 9 %. Les plus petits auraient, par rapport aux plus grands, deux fois plus de chances de mettre fin à leurs jours. D’autres études étaient déjà arrivées à ces conclusions, mais montraient également une forte corrélation entre suicide et niveau socio-économique. Or, dans l’étude suédoise, ni le niveau d’éducation des jeunes, ni le niveau social de leurs parents n’affectent le lien entre taille et suicide. Certains facteurs, comme les troubles familiaux, pourraient influencer la croissance à l’enfance puis l’état psychologique à l’âge adulte, une faible prise de poids durant l’enfance étant liée au risque de suicide à l’âge adulte. Les hommes petits étaient aussi plus souvent célibataires que les grands. Et le mariage est apparu comme un facteur réduisant les risques de suicide.

Les stéréotypes ont la vie dure…

L’enfance est bercée de contes et de légendes dont les personnages sont des géants et des nains. Le petit Poucet, Bilbo le Hobbit sont des héros imaginaires qui réussissent à sortir de toutes les situations délicates, et font preuve de qualités intellectuelles et morales en rapport avec leur petite taille. La taille des hommes est aussi une source d’effets comiques: un site internet américain met à jour le répertoire des hommes de petites tailles: les personnes dont on se moque sont des hommes petits, et non nains, avec un seuil que l’on peut mettre à 160 cm. Au dessus, des rôles « sérieux « ou de séducteur, sont possibles (Tom Cruise, Sylvester Stallone), en dessous, on ne trouve que des comiques (Dany DeVito, Roberto Benigni, Dustin Hoffman). Les grands, eux, sont dotés d’une autorité naturelle. Aux USA, sur les quatorze dernières élections présidentielles, le plus grand des deux candidats a gagné onze fois. Dans la presse, au cinéma, rares sont les photos ou les plans représentant la femme plus grande que l’homme. Certains hommes de petite taille se font cependant photographier avec des top models de grande taille: ils enfreignent la règle. C’est alors l’homme photographié, et non la femme, qui est vu comme faisant preuve de courage ou de témérité.

Conclusion

La taille a une grande importance sociale. Pour les hommes, la petite taille est souvent un inconvénient: avec les femmes qui trouvent les hommes petits moins attrayant, et avec les autres hommes, plus grands, souvent moins enclins au respect et à la confiance. Les femmes, dans la plupart des cultures, préfèrent les hommes de grande taille (ce qui est réciproque). Les hommes grands se marient plus tôt, ont plus d’enfants, et ont de meilleurs salaires. L’impact de la taille dans notre société étant essentiellement le reflet de notre perception, nous devrions nous questionner, afin que la petite taille ne reste pas discriminatoire.

Si vous voulez en savoir plus: Le pouvoir des grands, Nicolas Her pin, Collection Repères. Editions La Découverte.