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La liste de leurs effets ne cesse de s’allonger
On en entend parler de plus en plus régulièrement et il n’est pas rare de voir les autorités sanitaires de notre pays (ou européennes) se saisir de tel ou tel perturbateur, pour le ou les retirer du marché.
C’est à la fin des années 1990 que les premières alertes sur les effets délétères des perturbateurs endocriniens environnementaux chez les enfants et les adolescents ont été données, face à une augmentation des malformations génitales et une baisse de la spermatogenèse chez les garçons. Depuis, la liste de leurs effets ne cesse de s’allonger.
En vingt ans, le spectre des conséquences cliniques des perturbateurs endocriniens environnementaux (PEE) s’est considérablement élargi : maladies endocriniennes, désordres métaboliques, stérilité, maladies inflammatoires, auto-immunes, troubles du développement psychomoteur, autisme, maladies neurodégénératives, psychiatriques, hépatiques, rénales, cardiovasculaires, respiratoires, cancers.
Il n’y a pas de relation dose-effet, mais un effet cocktail et des périodes de vulnérabilité, comme la période embryofœtale ou périnatale. C’est de ce constat qu’est né le concept d’exposome, qui désigne le cumul des expositions sur la vie entière.
Nous avançons vers un scandale sanitaire!
Inédit en France, le dispositif vise à faire reconnaître l’exposition des parents, afin qu’ils puissent prétendre à un fonds d’indemnisation
A Amiens, une consultation « pesticides et pathologies pédiatriques »
« Liens de causalité »
« On a des arguments de fréquence et des études qui pointent des liens de causalité avec une exposition du père ou de la mère aux pesticides », explique la professeure Hélène Haraux, chirurgienne pédiatrique, qui travaille aux côtés du docteur Chamot. « L’exposition paternelle est un sujet très intéressant et nouveau, il faut que la recherche avance là-dessus », ajoute-t-elle.
Les données collectées ici permettront d’alimenter des bases anonymes pour de futures études qui ne se limiteront pas aux agriculteurs, mais porteront aussi sur les enfants « dont les parents travaillent le bois, sur les voies ferrées, dans les espaces verts », précise le docteur Chamot.
L’idée de créer cette consultation lui est venue après avoir découvert le très faible nombre de dossiers déposés au Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP). Depuis sa création en 2020, seules dix-sept demandes concernant des victimes périnatales ont été faites, sur toute la France, auprès de ce fonds alimenté par la taxe sur la vente de produits phytosanitaires. Rien que pour la Picardie, territoire agricole, le docteur Chamot évalue à une centaine le nombre d’enfants potentiellement concernés.
Lire la suite dans LeMonde 13 janvier 2024
Qu’est-ce qu’un perturbateur endocrinien? (PE)
La définition exacte du terme PEE n’est toujours pas consensuelle près de 30 ans plus tard, mais on considère globalement qu’une substance a une activité de perturbateur endocrinien quand elle est capable d’interférer avec la synthèse, le stockage, la sécrétion, le transport, le métabolisme, la liaison ou l’action d’hormones endogènes naturellement produites par l’organisme et que cette interférence a pour conséquence un effet “adverse”, c’est-à-dire un effet nocif pour la santé, que ce soit à l’échelle de l’individu et/ou de sa descendance, et ce via un mode d’action parfaitement déterminé
C’est une substance qui vient de l’extérieur de notre corps (exogène) ou un mélange de ces substances, qui va altérer la ou les fonctions de notre système endocrinien (les organes qui fabriquent et sécrètent nos hormones comme les ovaires, les testicules, la thyroïde, les surrénales, l’hypophyse, l’hypothalamus , etc.). Et qui vont alors causer des effets adverses sur la santé de notre corps, mais aussi sur notre descendance.
Ces perturbateurs ont une ressemblance avec les hormones (dont ils sont assez proches dans leur structure), ils vont donc bloquer ou occuper les récepteurs de notre organisme qui sont prévus pour les vraies hormones et non pour ces perturbateurs. Les conséquences peuvent alors être graves: nos hormones n’agissent plus comme il faut (croissance, fertilité, etc.). Ils peuvent aussi « mimer » le comportement des vraies hormones, là aussi les conséquences en sont néfastes.
Ces fongicides, herbicides, insecticides, plastiques, produits industriels comme les PCB et parabènes, médicaments comme les contraceptifs, métaux lourds, sont présents dans la chaîne alimentaire, dans l’air, dans les cosmétiques et produits d’hygiène, y compris ceux pour bébés. Les fruits et légumes et les cosmétiques sont une source constante de PEE. Une pomme subit par exemple 32 traitements par an (insecticides, fongicides, herbicides, éclaircissants…). Des phtalates, qui ont des effets sur la durée de la phase lutéale, la puberté, la fertilité et le risque d’hypertension artérielle gravidique, sont retrouvés dans 72 % des cosmétiques. Des parabènes, qui affectent la puberté, le cycle menstruel et l’endométriose, entrent dans la composition de 60 % des produits sans rinçage et 40 % de produits avec rinçage. Ainsi, chacun y est exposé dans sa vie quotidienne, familiale, professionnelle ou de loisirs.
Et la liste des PEE s’agrandit, avec par exemple de nouveaux fongicides inhibiteurs de la succinate déshydrogénase (SDHI), utilisés pour empêcher le développement de moisissures dans les réserves céréalières. Leurs effets potentiellement néfastes sur la santé humaine sont pointés du doigt. Ils altèrent notamment la différenciation et la migration neuronale, ce qui expose à une baisse des performances intellectuelles.
Sans oublier que tous ces facteurs environnementaux sont susceptibles d’altérer la santé des générations futures. Pas encore nés, les fœtus sont déjà contaminés : le placenta n’est pas une barrière mais une éponge ! On retrouve près de 300 PEE dans le sang de cordon, ce qui expose les futurs enfants et adultes à diverses pathologies. Les données disponibles mettent notamment en avant un processus de programmation prénatale de l’obésité. Ainsi, il existe un lien entre l’exposition à différents PEE au cours de la grossesse et le risque ultérieur, dans l’enfance ou à l’âge adulte d’obésité, dont l’incidence en cesse de croître.
Comment sommes-nous exposés au quotidien ?
Nous « baignons » quotidiennement dans une « soupe » de PE depuis plusieurs décennies. Il aura néanmoins fallu attendre avril 2021 pour qu’une liste officielle soit rendue publique par l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) à la demande des ministères de tutelle, dans le cadre de la Stratégie nationale perturbateurs endocriniens 2 (SNPE2) débutée en 2018. Cette liste comprend exactement 906 substances identifiées comme PE, dont certaines font l’objet d’une législation rendue de plus en plus restrictive comme nous le verrons plus loin.
Ces molécules sont habituellement classées en fonction de leur structure physicochimique (organochlorés, polybromés, polychlorobiphényles, dioxines, hydrocarbures polycycliques, etc.), avec des noms très complexes et parfois bien difficiles à intégrer dans une pratique clinique quotidienne. Certaines molécules sont dites persistantes, car ayant une longue demi-vie et la capacité, pour la plupart, de s’accumuler dans notre tissu adipeux, responsables ainsi d’une contamination à bas bruit, à faible dose, de manière chronique et loin de l’exposition initiale. On les qualifie parfois de polluants « éternels », comme pour le cas des composés perfluorés (bien connus pour leurs propriétés anti-adhésives et déperlantes, utilisées dans les ustensiles culinaires et dans l’industrie textile). À l’inverse, les phtalates et les bisphénols, principalement retrouvés dans les revêtements plastiques, ne sont pas persistants mais tellement utilisés que l’ensemble de la population y est exposé au quotidien à des doses très variables.
Via l’alimentation
L’une des grandes voies de contamination correspond à notre alimentation : bien évidemment le contenu (quelle que soit sa nature) peut être contaminé par l’air, l’eau et par les molécules utilisées lors de la production ou l’élevage (comme les pesticides, les additifs, etc.) ; mais il faut également prendre en compte le contenant qui bien souvent est fait de plastique avec la problématique des migrats d’emballage (c’est en particulier cet aspect qui a permis la législation du bisphénol A pour les contenants alimentaires destinés aux enfants de moins de 3 ans). Si la contamination plastique saute rapidement aux yeux (suremballages), il ne faut pas oublier que l’on en trouve également ailleurs, notamment dans des revêtements de carton, papier ou boîtes de conserve. Autant dire qu’il est difficile de leur échapper.
Via l’eau
L’autre grande voie de contamination est l’eau que nous consommons au quotidien, même si elle fait l’objet d’un programme de surveillance renforcé pour l’aspect PE. La contamination de l’eau a un impact sur la santé humaine (et notamment source d’inquiétude dans certaines communes, avec l’exemple récent de la contamination en perfluorés de la région lyonnaise) mais plus largement sur tout l’écosystème, et pose plus généralement le problème de l’impact sur la santé planétaire.
Les autres voies de contamination
Les autres voies de contamination possibles sont l’air (les particules fines étant capables de véhiculer certains PE), la peau (qui laisse facilement pénétrer des substrats hormonaux) et, enfin, la voie fœtoplacentaire. Très longtemps décrite comme une barrière infranchissable aux PE, plusieurs études épidémiologiques ont pourtant montré qu’une exposition des mères aux PE pendant la grossesse augmentait le risque de prématurité, de retard de croissance, d’hypertension artérielle gravidique, de diabète gestationnel, et de malformations du tractus génital des enfants. Finalement, des études récentes ont montré que les PE étaient capables de traverser librement le placenta mais, pour la plupart d’entre eux, avec des voies de retour incomplètes. Par ailleurs, le fœtus ne possède pas l’équipement enzymatique permettant la métabolisation de ces substances. Ceci explique in fine qu’il existe une accumulation fœtale progressive en PE, ce qui a été confirmé à plusieurs reprises sur des échantillons de liquide amniotique prélevés dans diverses populations.
Quels sont les perturbateurs identifiés?
Il y en a des centaines, des milliers, c’est ce qui rend complexe leur éradication. Il faut d’abord arriver à prouver qu’ils ont un réel impact sur notre organisme. Et c’est là parfois que les lobbyings interviennent pour cacher ou camoufler certaines études, pour pouvoir continuer de vendre des produits.
Sur 100 000 produits chimiques nous environnant, à peu près 900 sont potentiellement des perturbateurs endocriniens
Quelques noms qui vous parleront peut-être, une liste des plus connus
- l’estradiol, l’estrone, l’estriol qu’on va retrouver dans les eaux résiduaires
- le tamoxifène utilisé dans le cancer du sein
- l’endosulfan, l’aldine, la dieldrine, la chlordécone: dans les insecticides vendus partout
- l’atrazine utilisée dans les pesticides, les herbicides
- les pyralines (comme les polychlorobiphényles) , mais aussi le Nonylphénol utilisés dans l’industrie
- le bisphénol A qui a fait parlé de lui dans les biberons, désormais interdit, mais encore présent dans tous les agents plastifiants
- les foranes dans les solvants, les déchets industriels
- le Méthoxychlore dans le traitement des champignons
- le DDT (dichlorodiphényltrichloroéthane) et ses métabolites comme insecticide
- le TCDD (p-dioxine) dans les déchets des incinérateurs.
Quel est l’impact sur la santé de nos enfants (et des adultes)
Chez l’adolescent, plusieurs publications récentes soulignent la diversité des effets délétères potentiels des PEE : avance pubertaire, liée dans 84 % des cas à une cause environnementale, syndrome des ovaires polykystiques, endométriose, dysgénésie ovarienne, acné, et même dépression, qui serait en lien avec la pollution atmosphérique.
- diminution du nombre de spermatozoïdes, donc cause d’infertilité chez les hommes
- diminution de l’équilibre homme/femme: le ratio mâle/female est passé aux USA de 1.053 à 1.049 entre 1969 et 1995
- augmentation de la fréquence des testicules qui ne descendent pas dans les bourses des garçons (cryptorchidie)
- cancer du testicule plus fréquent
- malformations génitales chez les garçons, avec l’urètre (le petit trou par où sorte le pipi sur le pénis) qui est mal positionné sur la verge (hypospadias). Cela est frappant chez les enfants d’agriculteurs ! Avec l’utilisation des pesticides.
- précocité de la puberté chez les filles
De quoi faut-il se méfier?
Sans être exhaustif, voici quelques conseils.
- gare aux plastiques alimentaires qui contiennent des noyaux phénol
- gare au bisphénol A qu’on retrouve dans les plastiques, il tapisse aussi l’intérieur de certaines boîtes de conserve, on le retrouve dans les composants des montures des lunettes, les volants des voitures, dans les composants des appareils électroménagers, etc. Attention aussi dans les conditionnements alimentaires (barquettes surgelées prêtes à l’emploi: mieux vaut sortir l’aliment de la barquette et la faire cuire sur un plat.
- les phtalates: très utilisés pour rendre le plastique souple et flexible. Donc on le trouve dans la composition…des jouets ! Mais pas que.
- les phytosanitaires estrogènes: dans les plantes, ils sont présents de manière naturelle.
- lentilles, pois: ces végétaux contiennent des isoflavones considérées comme des PE. Ils interviendraient dans le développement de diabète insuline-dépendant, dans l’apparition d’anomalies de type hypospadias chez un enfant né d’une mère végétarienne. Cependant, ils auraient aussi un rôle protecteur contre le cancer du sein au Japon.
- parabènes: ils sont utilisés comme conservateurs, avec une forte activité antibactérienne et antimitotique (contre les mycoses). On les trouve aussi dans les shampooings, les déodorants, les crèmes pour la peau… Ne pas utiliser après rasage sur la peau, par exemple.
Que faire en pratique?
Il est quasi impossible de se protéger de tous ces perturbateurs. Quelques gestes simples.
- prudence chez une femme enceinte
- éviter ces produits chez les enfants de moins de 3 ans
- de même lors de la puberté
Ce sont 3 étapes essentielles de la vie où les récepteurs endocriniens sont davantage sensibilisés à ces PE.
Perturbateurs endocriniens et fertilité : un des mécanismes identifié
L’exposition à de faibles doses de bisphénol A juste après la naissance perturberait l’intégration des neurones de l’hypophyse qui régulent la reproduction.
Chez l’humain, comme chez les autres mammifères, la reproduction est régulée par les neurones à GnRH, une population de neurones qui, au cours du développement embryonnaire, apparaît au niveau du nez puis migre vers le cerveau jusqu’à l’hypothalamus. Ce sont eux qui contrôlent tous les processus associés aux fonctions reproductrices : la puberté, l’acquisition des caractères sexuels secondaires et la fertilité à l’âge adulte.
Mais, une exposition précoce aux perturbateurs endocriniens enrayerait ce processus et entraînerait une dérégulation des fonctions reproductrices. Dans une étude publiée ce jeudi 18 novembre dans la revue Nature Neuroscience, des chercheurs de l’Inserm ont identifié l’un des mécanismes en cause dans cette altération.
Le bisphénol A empêche la rencontre des neurones à GnRH avec les astrocytes
Pour comprendre comment les perturbateurs endocriniens altèrent les fonctions reproductrices, il faut d’abord comprendre comment celles-ci fonctionnent. Pour assurer leurs fonctions, les neurones à GnRH s’entourent d’un autre type de cellules neurales, les astrocytes, qui permet aux neurones à GnRH de s’intégrer au réseau neuronal. Cette rencontre intervient au cours de la “mini-puberté”, une période qui débute une semaine après la naissance chez les mammifères. C’est à ce moment qu’ont lieu les premières sécrétions des hormones sexuelles.
“Un échec de l’intégration des neurones à GnRH lors de la mini-puberté peut entraîner une prédisposition à développer des troubles de la puberté et/ou de la fertilité, mais aussi affecter potentiellement le développement du cerveau et ainsi entraîner des troubles de l’apprentissage ou encore des désordres métaboliques tels qu’un surpoids”, précise Vincent Prévot, directeur de recherche à l’Inserm et dernier auteur de l’étude.
Dans la présente étude, les chercheurs sont parvenus à préciser comment se déroule cette rencontre entre neurones à GnRH et astrocytes. Ils ont découvert que les astrocytes répondent à des signaux moléculaires émis par les neurones à GnRH qui les recrutent dès leur apparition dans l’hypothalamus. C’est précisément ce processus que l’exposition au bisphénol A, un perturbateur endocrinien reconnu, vient dérégler.
Un impact durable sur les fonctions reproductrices
Pour arriver à leurs conclusions les auteurs de l’étude ont mené des expériences sur des rats. Pendant les 10 jours suivant la naissance, des rats femelles ont reçu des injections de bisphénol A à faibles doses. Grâce à une technique de marquage des astrocytes, les chercheurs ont pu observer que sous l’effet du bisphénol A, les astrocytes ne parviennent pas à s’arrimer de manière permanente aux neurones à GnRH. Cela entraîne alors un retard pubertaire ainsi qu’une absence de cycle œstral chez les rates adultes – l’équivalent du cycle menstruel chez la femme – ce qui suggère que les fonctions reproductives sont affectées.
“Nos résultats soulèvent l’idée que l’exposition précoce à des produits chimiques en contact avec les aliments, tels que le bisphénol A, peut perturber l’apparition de la puberté et avoir un impact durable sur les fonctions reproductrices, en empêchant les neurones à GnRH de construire, dans l’hypothalamus, un environnement approprié et nécessaire à leur rôle de chef d’orchestre de la fertilité”, décrypte Ariane Sharif, qui a codirigé l’étude.
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