Substances dites psycho-actives
L’accroissement de la consommation de substances psychoactives parmi les jeunes générations constitue aujourd’hui un sujet de préoccupation majeure pour les professionnels de la santé. À ce titre, toutes les études montrent que le tabac est, après l’alcool, le deuxième produit le plus souvent consommé. Les trois quarts des adolescents qui fument quotidiennement seront des fumeurs à l’âge adulte et la dépendance à la nicotine apparaît d’autant plus sévère et durable que la consommation de tabac a débuté précocement.
Prévalence (nombre de cas dans la population)
La consommation de tabac chez l’enfant
Si les études chez l’enfant restent rares, elles montrent f que, contrairement à ce que l’on a pensé pendant longtemps, la consommation de substances psychoactives n’est pas exceptionnelle à cet âge. Quinze à 20 % (parfois plus) des enfants âgés de 9 à 11 ans ont déjà fait 1’expérience, au moins une fois, du tabac, 2 à 8 % en consommant plus ou moins régulièrement.
La consommation de tabac chez l’adolescent (e-cigarette comprise)
Les études chez l’adolescent sont plus nombreuses et montrent une progression notable de la consommation de substances psychoactives avec l’âge, avec surtout une forte augmentation à partir de l’âge de 15 ans. À cet âge, environ 40 à 45 % des adolescents ont déjà fait 1’expérience du tabac, 25 à 35 % en consomment plus ou moins régulièrement, 10 % en consomment quotidiennement. A la fin de l’adolescence, environ 65 % des sujets ont déjà fait l’expérience du tabac, 30 à 40 % en consomment plus ou moins régulièrement, 20 à 30 % en consomment quotidiennement.
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Si les comportements de consommation apparaissent instables au cours de l’adolescence, de nombreuses études montrent que les facteurs les plus prédictifs des comportements tabagiques à la fin de l’adolescence sont la consommation antérieure et la précocité de son début. Contrairement à la consommation d’alcool et de drogues, plus fréquemment observée chez les garçons que chez les filles, globalement, garçons et filles fument dans les mêmes proportions, avec cependant une tendance à une consommation plus précoce chez les filles. De même, contrairement à ce qui est observé pour l’alcool et les drogues, plusieurs études suggèrent que la consommation de tabac serait marquée par une plus grande persistance chez les filles que chez les garçons.
La dépendance à la nicotine
Le diagnostic de la dépendance à la nicotine chez l’adolescent pose encore de nombreux problèmes. Dans les nouvelles classifications internationales (CIM-10, DSMIV), I’abus et la dépendance aux substances psychoactives sont considérés comme ayant des expressions cliniques identiques chez l’enfant, I’adolescent et l’adulte. Les critères retenus n’ont cependant jamais fait l’objet d’études d’évaluation de leur fiabilité et de leur validité chez l’enfant et l’adolescent, et l’adéquation de ces critères à l’enfant et à l’adolescent reste discutée. Pour de nombreux auteurs, ces critères auraient l’inconvénient non négligeable de ne permettre qu’un diagnostic tardif, au moment où les troubles constatés sont comparables à ceux observés chez l’adulte.
De même, les notes seuils habituellement utilisés chez l’adulte dans les autoquestionnaires d’évaluation de la dépendance à la nicotine ne semblent pas applicables à l’adolescent. Quoi qu’il en soit, environ 20 % des adolescents qui fument quotidiennement et plus de 80 % de ceux qui fument au moins un paquet de cigarettes par jour présenteraient les critères de la dépendance à la nicotine. Le passage de l’expérimentation à la dépendance se fait progressivement, s’étalant en moyenne sur deux à trois ans. Là encore, la précocité de la consommation (avant l’âge de 12 ans) apparaît comme le facteur le plus prédictif de la survenue d’une dépendance.
Le vapotage et la E-cigarette: pourquoi ne pas la banaliser?
La cigarette électronique est-elle un outil de sevrage ou un mode d’entrée dans le tabagisme ?
En France en 2017, la cigarette électronique a été expérimentée par un jeune de 17 ans sur deux, soit un niveau proche de celui de 2014 (respectivement 52,4 et 53,3 %) [1]. L’usage de la cigarette électronique demeure occasionnel : 34,9 % des expérimentateurs se sont contentés d’essayer, notamment les filles (40,3 contre 29,9 % des garçons). L’usage dans le mois a diminué de 5 points par rapport à 2014 (22,1 % en 2014 et 16,8 % en 2017) et le vapotage quotidien isolé reste quasi inexistant (1,9 %).
La proximité des usages d’e-cigarette et de tabac se révèle importante : seuls 3,8 % des jeunes de 17 ans l’ont expérimentée sans avoir jamais fumé de tabac, que ce soit avec une cigarette ou une chicha. Plus de la moitié des vapoteurs quotidiens (52 %) se déclarent également fumeurs quotidiens de cigarettes. L’expérimentation de l’e-cigarette s’est faite en moyenne à 15 ans et 5 mois, c’est à-dire un an après l’expérimentation de cigarette de tabac. Parmi les adolescents qui ont expérimenté les deux produits, la majorité d’entre eux avaient déjà fumé des cigarettes avant d’essayer l’e-cigarette (71,3 %), 14,3 % ayant commencé par l’e-cigarette et 14,5 % ayant expérimenté les deux la même année sans qu’il soit possible de déterminer l’expérimentation originelle. Par rapport aux jeunes de 17 ans non expérimentateurs de cigarette électronique, les expérimentateurs sont plus souvent des fumeurs quotidiens, le pourcentage étant néanmoins en baisse par rapport à 2014 (41,4 contre 54,1 %). En effet, les tendances en baisse de consommation de tabac parmi l’ensemble des jeunes de 17 ans se reflètent globalement parmi les expérimentateurs d’e-cigarette.
Selon l’OFDT (Observatoire français des drogues et toxicomanies), les jeunes non fumeurs (ni expérimentateurs ni consommateurs réguliers de tabac) qui expérimentent l’e-cigarette ne savent pas si l’e-liquide contient ou ne contient pas de nicotine dans 29 % des cas et utilisent des e-liquides contenant de la nicotine chez 18 % d’entre eux. Parmi les jeunes non fumeurs qui utilisent régulièrement l’e-cigarette, 8 % ne savent pas si l’e-liquide contient ou ne contient pas de nicotine mais 41 % utilisent des e-liquides contenant de la nicotine.
Certains consommateurs utilisent leur vapoteuse pour inhaler du THC (tétrahydrocannabinol), la molécule psychoactive du cannabis. Aux États-Unis, selon une enquête publiée en décembre 2019 sur le site de l’American Journal of Preventive Medicine, 75 % des adolescents américains qui utilisent une cigarette électronique consomment de la nicotine, du CBD (cannabidiol), du THC ou un mélange des trois [2]. Le Dr Dai et son équipe ont étudié les habitudes de 14 560 adolescents américains en matière de vape. Sur les 14 560 participants, 12 % déclarent avoir vapoté au moins une fois lors des 30 jours précédents. Parmi ces vapoteurs, 24,9 % seulement affirment consommer uniquement des liquides neutres et aromatisés. Les 75,1 % restant utilisent quant à eux des liquides contenant de la nicotine, des substances psychotropes associées à la marijuana (CBD ou THC), voire des mélanges des trois.
Qu’est-ce qu’une cigarette électronique ?
La cigarette électronique ne dégage ni goudron ni monoxyde de carbone, les deux éléments les plus nocifs de la fumée de tabac qui provoquent cancers et maladies cardiovasculaires. Une vapoteuse fonctionne sans combustion. Elle produit, par chauffage du e-liquide, un gaz qui se condense en fines gouttelettes qui sont inhalées. Le vapoteur choisit le dosage en nicotine et le goût du liquide dont il inhale la vapeur.
Le liquide des cigarettes électroniques est constitué de 75 % d’un mélange de propylène glycol et de glycérol, 4 % d’eau, 2 % de nicotine, 2 % d’arômes et parfois d’alcool.
Les effets du vapotage
L’usage de la cigarette électronique chez les adolescents est préoccupant pour plusieurs raisons. Premièrement, les cigarettes électroniques contiennent des produits chimiques, dont certains sont des cancérogènes connus. De nouvelles preuves suggèrent également que la vapeur de cigarette électronique peut avoir des effets cardiovasculaires, métaboliques et pulmonaires négatifs.
Beaucoup d’adolescents déclarent utiliser des e-liquides avec de la nicotine. La nicotine est très addictive : initiée avant 18 ans, cette addiction à de forts risques de durer plusieurs dizaines d’années.
Malgré les restrictions de vente, les adolescents n’ont aucune difficulté à se procurer des e-cigarettes. À ce stade, il est légitime de discuter de la persistance en vente libre de la vape. Mais interdire ou prescrire ? Dans la mesure où la seule utilité éventuelle de la vape est le sevrage tabagique, il paraît légitime de restreindre son accès à la pharmacie, sur prescription.
Facteurs de risques du tabagisme
Si beaucoup d’adolescents font l’expérience du tabac, comparativement, peu d’entre eux vont développer une dépendance. C’est dire que les facteurs qui influencent l’initiation et l’expérimentation diffèrent sans aucun doute de ceux qui favorisent l’installation d’un abus ou d’une dépendance. À ce titre, des études ont montré que les premières expériences avec le tabac étaient généralement vécues par les adolescents de façon négative, soulignant l’intervention d’autres facteurs dans la pérennisation de la consommation. Globalement, I’initiation et l’expérimentation des substances psychoactives chez l’adolescent semblent essentiellement déterminées par des facteurs socioculturels, situationnels et environnementaux, tandis que les facteurs psychologiques, psychiatriques et biologiques semblent jouer un rôle prépondérant dans l’abus et la dépendance.
Le contexte développe mental de l’adolescence
L’adolescence est une période de transition marquée par d’importants remaniements affectant le corps, la pensée, la vie sociale et la représentation de soi. Le processus développemental inscrit dans cette période implique la nécessité pour l’adolescent de tester et de modifier ses attitudes et ses comportements au fur et à mesure de son évolution et des interactions vécues avec l’environnement. Cet apprentissage par essais-erreurs permet à l’adolescent de découvrir puis d’élaborer son propre système de valeurs sociales à travers la prise de conscience de soi et l’affirmation de son identité. Il lui permet d’atteindre à la fois le sentiment d’individualisme et d’intégration sociale.
L’expérimentation des substances psychoactives participe de ce processus en tant qu’expérience organisatrice de la vie psychique, de la pratique du corps et des réactions du groupe social. Les attitudes et les comportements des adolescents sont largement dominés par la notion subjective de conformité à la normalité supposée. Les pressions sociales de conformité aux modèles idéaux, véhiculés par la culture et les médias et, de façon plus contraignante encore, par le groupe des pairs, peuvent rendre compte de l’importance aujourd’hui chez les adolescents des comportements de consommation qui sont des facteurs de convivialité au travers desquels se marquent les valeurs sociales et culturelles d’une époque. De nos jours, fumer apparâît chez l’adolescent à la fois comme un facteur d’intégration au groupe des pairs et comme une tentative d’inscription dans le monde des adultes.
À ce titre, la curiosité, la pression du groupe des pairs, I’ennui, le stress, I’obtention d’un état de relaxation et le plaisir, I’image de soi et l’affirmation de soi, I’esprit de rébellion sont souvent cités comme des facteurs d’initiation et d’expérimentation du tabac. Dans ce contexte, des différences sont retrouvées entre garçons et filles, pouvant être expliquces par des facteurs socioculturels. Ainsi, les filles qui fument sont-elles le plus souvent décrites comme extraverties, sûres d’elles, rebelles et socialement » habiles « , contrairement aux garçons qui sont le plus souvent décrits comme socialement » insécures « . Dans le même ordre d’idée, des études récentes soulignent le lien, chez les filles, entre comportement alimentaire (régimes, prooccupations centrées sur le poids et les formes corporelles) et consommation de tabac.
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Les facteurs psychosociaux
Influence du groupe des pairs et de la consommation des parents
Des études longitudinales ont confirmé l’influence du tabagisme des pairs sur la consommation de tabac chez l’adolescent. Cette influence semble cependant médiatisée par la capacité de l’adolescent à refuser. Elle diminue par ailleurs au cours de l’adolescence quand on tient compte du statut tabagique initial du sujet. Autrement dit, si les comportements tabagiques des pairs peuvent jouer un rôle dans l’initiation et l’expérimentation du tabac chez l’adolescent, leur influence apparaît moindre dans le développement d’une consommation régulière ou d’une dépendance.
Plusieurs études ont également souligné le rôle des comportements tabagiques de la famille sur la consommation de tabac chez l’adolescent : trois quarts des adolescents qui fument ont au moins un parent qui fume. Cette influence semble cependant varier aussi en fonction du sexe de l’adolescent, des comportements tabagiques de son entourage amical, et du statut socioprofessionnel des parents. Par ailleurs, l’attitude des parents face au tabac aurait peu d’influence sur la consommation des adolescents. Selon certains auteurs, l’idée que les adolescents se font des comportements de leur entourage (famille, enseignants, pairs) serait plus prédictive de leurs comportements tabagiques que la consommation rcelle des personnes de leur entourage.
Structure familiale et relations avec les parents
Des études ont montré que l’expérimentation du tabac chez les adolescents était plus *équente et plus précoce dans les milieux défavorisés (bas niveau socio-économique). De même, le statut matrimonial des parents (divorce, familles monoparentales ou reconstituées), I’existence de conflits intrafamiliaux, et l’attitude éducative des parents (familles « négligentes » et peu « supportives ») semblent avoir une influence sur les comportements tabagiques de l’adolescent.
Toutes ces données indiquent que des facteurs liés à l’environnement peuvent jouer un rôle dans la consommation de tabac chez l’adolescent. La plupart des études montrent cependant que ce sont surtout les attitudes personnelles de l’adolescent, face au tabac et à son environnement socio-familial, qui sont prédictives de l’expérimentation et de sa consommation ultérieure.
Les facteurs psychopathologiques
Facteurs de personnalité et de tempérament
De nombreuses études soulignent le rôle des variables tempéramentales et de personnalité dans la consommation de substances psychoactives chez l’adolescent. Un haut degré de recherche de nouveautés et un faible évitement du danger seraient significativement prédictifs d’une initiation précoce au tabac, entre l’âge de 10 et 15 ans. De même, une faible estime de soi apparaît prédictive chez les filles d’une expérimentation précoce et de la survenue d’un tabagisme ultérieur [3, 7].
Troubles mentaux
Toutes les études soulignent la fréquence des troubles mentaux retrouvés chez les adolescents présentant un abus ou une dépendance aux substances psychoactives. Les troubles anxieux et, à un moindre degré, les troubles dépressifs semblent avoir une influence sur l’initiation au tabac et sur la consommation régulière et accéléreraient le passage à la dépendance. De même, le trouble hyperactivité avec déficit de l’attention, en particulier lorsqu’il s’associe à d’autres troubles (trouble des conduites, dépression ou troubles anxieux), serait prédictif d’une initiation précoce et de la sévérité de la dépendance. Si les relations entre tabagisme et troubles mentaux restent discutées, ces données plaident en faveur de l’hypothèse de l’automédication. Dépendance : à la nicotine et troubles mentaux pourraient aussi partager des facteurs de vulnérabilité génétiques communs [2].
Les auteurs qui ont étudié simultanément le rôle des facteurs psychopathologiques (traits de personnalité, troubles mentaux) et des facteurs psychosociaux (influence du groupe des pairs et/ou de la famille) montrent que les facteurs psychopathologiques sont plus prédictifs des comportements tabagiques des adolescents que les facteurs psychosociaux [7].
Les facteurs génétiques
Il est maintenant clairement démontré que des facteurs génétiques interviennent dans le métabolisme de la nicotine et dans le déterminisme de la dépendance. Une étude récente sur des jumeaux suggère que les facteurs génétiques pourraient grandement expliquer la variation des comportements tabagiques observés chez l’adolescent [2].
CONSOMMATION DE TABAC ET TROUBLES LIÉS À L’UTILISATION DE L’ALCOOL ET DE DROGUES
Toutes les études soulignent le lien entre l’usage du tabac et la consommation d’alcool et de drogues, chez l’adolescent mais aussi déjà chez l’enfant [1-3, 7] Surtout, toutes les études montrent que la consommation précoce de tabac est le facteur le plus prédictif de la survenue d’un abus ou d’une dépendance à l’alcool et/ou aux drogues à la fin de l’adolescence (encore plus chez les filles que chez les garçons) [1, 7]. Il est difficile cependant de savoir si c’est la précocité de la consommation ou sa durée qui importe ici : la question se pose en effet des conséquences sur les plans cognitif, affectif et social de cette consommation précoce sur l’évolution ultérieure des troubles [6, 7].
CONCLUSION
Après avoir diminué dans les années 198O, I’usage du tabac tend de nouveau à se répandre chez les adolescents depuis 1990. Ainsi, malgré les mesures adoptées pour limiter l’offre et les campagnes d’information entreprises, la consommation de tabac chez les adolescents apparaîtelle aujourd’hui plus importante (en particulier chez les filles) et surtout plus précoce [2, 4, 5]. En fait, toutes ces données montrent bien que les stratégies visant à modifier les attitudes et les comportements des jeunes vis-à-vis du tabac doivent s’intégrer dans le cadre d’une action globale de santé où l’enfant et l’adolescent sont envisagés dans leur totalité et reliés à leur environnement.