L’adolescence et la balance: surtout les filles? Anorexie?

Les préoccupations autour du poids et de l’apparence corporelle sont particulièrement fortes à l’adolescence. Or en parallèle à la montée de l’obésité, authentique problème de santé publique, les adolescents sont soumis à la pression médiatisée d’un idéal de minceur omniprésent et irréaliste. Entre la junk food et les fast food, d’une part, et les jeûnes et privations vantés par les magazines et les sites « pro ana », d’autre part, les adolescents sont particulièrement exposés à des déviations de comportements alimentaires.

La balance

Regardons quelques échanges autour de la balance sur un blog : « moi je dirais qu’il faut la jeter par la fenêtre » dit Sonia, 1,70 m, 85 kg, 17 ans » ; « ça m’arrive de me peser des fois sans regarder vraiment, si le résultat me convient je suis contente ; sinon je me dis qu’elle déconne ; bref je n’en tiens pas compte. » Mariette, 1,63m, 93,5 kg, 16 ans, etc.

Anorexie mentale

Dans l’anorexie mentale, la balance, les balances, occupent une place envahissante. L’anorexique se fixe un poids, un chiffre qu’elle veut atteindre, toujours plus faible. Ce poids est inférieur au poids minimum attendu pour l’âge et la taille. Cette recherche de poids minimum s’accompagne d’une peur permanente de prendre du poids ou de devenir gros et d’un déni de la gravité de la maigreur. Pour atteindre et maintenir ce poids, que l’anorexique contrôle tous les jours sur la balance, voire plusieurs fois par jour, elle utilise une autre balance ; une balance ménagère électronique, qui pèse les aliments au gramme près : 50 g de poisson vapeur, 100 g de légumes verts , 5 g de fromage, etc. Et il n’est pas rare que l’anorexique se déplace en voyage,ou en week-end avec cette balance dans son sac. Aucun repas convivial n’est possible, aucun partage de repas amical, aucun dîner au restaurant n’est réalisable… et ainsi, souvent, aucune vie sociale aussi. En revanche, elle boit des grands bols de thés sans sucre, ou des grands verres d’eau plate, avant ou à la place des repas ; cette grande consommation de liquides peut aller jusqu’à être une réelle potomanie. Le remplissage par l’eau « trompe la faim » mais trompe aussi le médecin quand il fait monter l’adolescente sur la balance… « C’est bien, tu as pris un kilo depuis la dernière fois » ; en fait le kilo est un litre d’eau dans l’estomac…

Il n’est pas rare que l’anorexique se déplace en voyage, ou en week-end avec sa balance dans son sac.

Boulimie

Dans la boulimie, la balance occupe la même place, le contrôle du poids est aussi obsessionnel. Les accès compulsifs de prises alimentaires excessives accompagnés d’une sensation de perte de contrôle, sont suivis de comportements compensatoires comme les vomissements provoqués, l’usage de diurétiques et laxatifs, la pratique du jeûne et d’exercices physiques intenses pour éviter toute prise de poids, ce, dans un vécu de culpabilité, de honte et de dégoût de soi-même. La symptomatologie boulimique peut survenir dans l’évolution d’une anorexie mentale. Ainsi Capucine, 17 ans, après une année de symptomatologie anorexique reprend progressivement du poids, ses règles réapparaissent, sa famille applaudit cette évolution. Mais en fait, Capucine se « goinfre » en cachette mais ne supporte pas de voir l’aiguille de la balance s’approcher de 60 kg. Elle éprouve un fort dégoût pour elle-même et n’admet pas que ses parents la croient « guérie » de son anorexie. Alors pour leur montrer que malgré ses « bonnes joues » elle va mal, elle se met à se scarifier avec une lame de rasoir, le ventre d’abord, puis le visage…

La symptomatologie boulimique peut survenir dans l’évolution d’une anorexie mentale.

Accès de compulsions alimentaires

Les accès récurrents de compulsions alimentaires durant lesquels le jeune se « gave » à n’importe quelle heure de la journée de biscuits chocolatés, glaces, frites, kebab, sont fréquents à l’adolescence. Cette alimentation anarchique dans ses horaires, souvent très grasse et très sucrée, engendre rapidement un chaos alimentaire, avec pour conséquence prise de poids, voire, obésité, c’est l’hyperphagie boulimique (binge eating disorder). L’environnement familial peut favoriser ce comportement. Ainsi le surpoids d’Édouard 14 ans, étonne ses parents et son médecin. La mère est une femme élégante et mince, le père un homme élancé et sportif ; ils surveillent jalousement leur poids. La nourriture familiale est saine et équilibrée, mais très frugale. Alors Édouard va tous les jours après l’école au fast food où il engloutit un énorme double « sandwich » avec une grande ration de frites et une très grande boisson gazeuse sucrée. Mais, si le jeune se préoccupe de son apparence corporelle et veut contrôler son poids et utilise la balance, il rentre dans le processus de conduites d’élimination : vomissements provoqués, jeûne, sauts de repas, etc.

Comment différencier régime « normal » et trouble du comportement alimentaire
Comparons deux adolescentes de 14 ans : Vanessa et Constance qui se trouvent trop grosses. Cinq critères peuvent différencier Vanessa qui veut perdre 3 kilos pour s’acheter un nouveau maillot de bain (régime normal) et Constance qui s’engouffre dans une anorexie mentale.

• L’objectif de poids. Vanessa perd ses 3 kilos elle est contente et s’arrête là. Constance continue à perdre ; elle se veut toujours plus maigre.
• La critique vis-à-vis de son propre corps. Vanessa se trouve mignonne avec ses 3 kilos en moins. Plus Constance maigrit, plus elle se trouve grosse.
• Retrait social. Vanessa sort, voit des copines. Constance travaille de plus en plus, fuit les autres et devient de plus en plus dépendante de sa famille.
• Aménorrhée. Vanessa a ses règles, chez Constance elles disparaissent.
• Vomissements provoqués et laxatifs. Vanessa ne les utilise pas. Comme l’aménorrhée, ils signent la pathologie.

Les adolescents sont insatisfaits de leur poids

Dans les enquêtes en population générale, aux États-Unis, au Canada et en Europe, la moitié des adolescents se disent non satisfaits de leur poids avec une surestimation de leurs problèmes pondéraux. Une fille sur cinq se déclare au régime. Dans une enquête menée auprès d’adolescents en 2002 aux États- Unis, 41 à 66 % des filles et 20 à 31 % des garçons déclaraient avoir déjà essayé de perdre du poids.

Une fille sur cinq se déclare au régime…

À cette période de la vie, l’estime de soi est largement liée au poids : l’apparence corporelle et le poids occupent une position démesurée, dans l’évaluation de soi-même au détriment des qualités intellectuelles et affectives. « Plus je maigris, plus je m’aime », dit Cynthia anorexique. « Plus je mange, plus je me hais » dit Clothilde, boulimique, première de sa classe en terminale S et violoncelliste primée. « Incapable de maigrir, je suis nul » dit Sébastien15 ans, très bon élève et joueur d’échecs. L’insatisfaction corporelle, et en particulier l’idéalisation de la minceur, autrefois réservée aux jeunes filles des pays riches et industrialisés tend à devenir universelle, atteignant des populations autrefois épargnées. À titre d’exemple, on peut citer le Japon où les femmes sont plus minces que les occidentales et qui pourtant veulent devenir encore plus minces. L’IMC moyen y est passé de 21,5 en 1960 à 20,5 en 1995.

L’insatisfaction corporelle, autrefois réservée aux jeunes filles des pays riches, tend à devenir universelle.

Le médecin prend-il un risque en voulant faire perdre du poids à un adolescent ?

Certains médecins ont peur que certains adolescents suivent tellement bien leurs prescriptions qu’ils aillent « trop loin » dans l’amaigrissement. C’est l’exemple de Yacine, en surpoids à partir de l’âge de 6 ans, qui décide à 13 ans de perdre du poids, il pèse alors 78 kg pour 1,74 m : résultat, à 14 ans il ne pèse plus que 42 kg et doit être hospitalisé. Ou encore, Hélène, jolie fille de 14 ans que son père médecin trouve trop ronde, et qui sous son coaching perd 10 kg en quelques mois et tombe dans l’anorexie mentale… Il semblerait qu’on ne peut établir de lien direct entre traitement anti-surpoids et apparition d’un trouble du comportement alimentaire, mais il y a peu de publications sur ce sujet et elles portent souvent sur de courtes durées. L’étude d’Epstein d’un groupe d’enfants traités pour surpoids montre que l’évolution sur 10 ans ne révèle pas de cas d’anorexie mentale, mais 4 % de boulimie , et 12 % de dépression. Les sujets les plus à risque sont en fait les adolescents qui souffrent d’une sévère insatisfaction de l’image de soi, de dépression ou de tout autre trouble psychopathologique préexistant. Les adolescents à risque sont aussi ceux qui ont d’autres comportements à risque : tabagisme, alcoolisme, consommation de toxiques, conduites sexuelles à risque. Le risque principal de « régimes » mal conduits est l’effet paradoxal avec l’apparition de compulsions boulimiques en réaction à de trop grandes privations, et ainsi une aggravation du surpoids. Le médecin doit donc encourager la modification des habitudes alimentaires et encourager l’exercice physique, mais il doit aussi faire l’éducation de ses jeunes patients en les mettant en garde contre les comportements de régimes dangereux : jeûne absolu, saut de repas, vomissements provoqués, utilisation de laxatifs et médicaments coupe-faim, régimes farfelus…

Le risque principal des « régimes » est l’apparition de compulsions boulimiques et ainsi une aggravation du surpoids.

Cas particuliers à surveiller

Le médecin doit aussi être vigilant dans certains cas particuliers.

Le végétarisme

Sous une apparence de conduite alimentaire saine (« on privilégie les légumes », on ne mange pas d’animal mort), on se cache parfois (souvent ?) chez l’adolescent un comportement alimentaire déviant. Certains signes interpellent sur l’aspect inhabituel de la conduite. Les autres membres de la famille ne sont pas végétariens, l’adolescente se fait vomir ou utilise des laxatifs, elle pratique des sports de façon intensive souvent dans le milieu de la gymnastique ou de la danse. Pour certaines patientes, une avance pubertaire est remarquée.

Le danger de certaines activités sportives excessives

Dans l’anorexie mentale, l’activité physique est généralement exagérée avec la multiplication des heures de sport, la course dans les couloirs du métro, des heures de bicyclette ou de natation, en s’asseyant le moins possible et en réduisant son temps de sommeil. De plus, certains sports encouragent les troubles du comportement alimentaire : sports esthétiques (danse, patinage, natation synchronisée, gymnastique), mais aussi le saut à ski, les sports avec des catégories en fonction du poids, etc. Chez le garçon, les symptômes de trouble du comportement alimentaire sont les mêmes que chez les filles, mais avec souvent une idéalisation des corps musclés des culturistes et des pratiques sportives excessives.

L’orthorexie

Non reconnue officiellement comme un trouble du comportement alimentaire, ce comportement est l’attitude d’une personne obnubilée par le dogme (réel ou fantasmé) de l’alimentation saine. C’est Steve Bratman qui a le premier parlé d’orthorexie en 1997 et a proposé un test pour dépister ce comportement. Manger sain est en effet souhaitable, mais si ce manger sain implique le renoncement aux repas conviviaux, si le respect du régime est plus important que le plaisir de manger un aliment aimé, cela n’est plus adapté. La fascination exercée par certains magazines et/ou les gourous de l’alimentation saine entraîne de nombreuses victimes, en particulier les adolescentes fascinées par les recommandations de telle ou telle star ou people. Mais comme le dit G. Apfeldorfer, « manger trop sain n’est pas sain ».
L’orthorexie est l’obnubilation du dogme de l’alimentation saine.

Conclusion

Dans notre société avide de régime, de corps svelte, de beauté et de jeunesse, le médecin doit être particulièrement vigilant auprès des adolescents qui accordent une importance excessive à leur apparence et à leur balance, mais pas assez à leur santé.