De la dermatite atopique vers l’asthme ?

L’histoire naturelle de la dermatite atopique (DA) reste assez mal connue, en particulier ses rapports avec l’asthme et l’hyper réactivité bronchique (HRB). Point sur l’état actuel d’une question encore imprégnée de mythes souvent issus de croyances populaires.

Dermatite atopique et asthme

Les études qui évaluent avec précision la fréquence de l’asthme au cours de la dermatite atopique sont rares. Dans une enquête cas-témoins réalisée à l’aide de questionnaires adressés aux familles, Salob et Atherton  ont enregistré 85 % de symptômes respiratoires chez 250 enfants atteints de dermatite atopique, âgés en moyenne de 8,5 ans. La fréquence de ces symptômes n’était que de 26 % chez les 250 témoins, soit une différence très significative (p < 0,001). Ces symptômes respiratoires se répartissaient ainsi : wheezing : 76 %; toux nocturne ou matinale : 58 %; toux d’effort : 49 %. Chez les 190 enfants siffleurs atteints de dermatite atopique, le diagnostic d’asthme fut porté dans 87 % des cas, contre 40 % chez les 30 témoins siffleurs (p < 0,005). De même, 91% des premiers bénéficiaient d’un traitement de fond, contre 60 % chez les témoins (p < 0,005).

Corbo et al. ont évalué la fréquence de l’asthme << actif,> chez 40 patients un peu plus âgés que ceux de Salob et Atherton (12,3 ans en moyenne) : 20 % des enfants atteints de dermatite atopique avaient un asthme actif.

L’asthme se développe d’autant plus fréquemment que le début de la dermatite atopique est précoce. Ainsi, chez 84 enfants non sélectionnés, Kjellman et Hattevig ont observé que l’asthme survenait dans 58 % des cas si la dermatite atopique avait débuté avant l’âge de deux ans et seulement dans 7 % des cas lorsqu’elle avait débuté après l’âge de deux ans.

Le tabagisme maternel favorise l’apparition de l’asthme chez l’enfant atteint de dermatite atopique. En effet, chez les enfants et adolescents ayant des antécédents de dermatite atopique, Murray et Morrisson  observent que l’asthme se développe dans 79 % des cas si la mère fume et dans 52 % si elle ne fume pas (p = 0,001). Les pourcentages sont du même ordre chez les enfants ayant une dermatite atopique « active ». Par contre, chez les enfants sans antécédent de dermatite atopique, le tabagisme maternel n’augmente pas le risque d’asthme.

Dermatite atopique et hyperréctivité bronchique

Salob et al. ont évalué l’hyper réactivité bronchique (HRB) non spécifique en mesurant la PD 20 à l’histamine : Quantité d’histamine nécessaire pour obtenir une chute de 20 % du VEMS. L’HRB non spécifique est beaucoup plus fréquente chez les enfants ayant une dermatite atopique et un asthme (95,2 %) et chez ceux ayant une dermatite atopique seule (81,8 %) que chez les témoins normaux (16,7 %).

Corbo et al. ont démontré que l’HRB est deux fois plus fréquente dans le sexe masculin et n’est pas corrélée avec la sévérité de la dermatite atopique. Par contre l’HRB est plus fréquente si la dermatite atopique a débuté précocement. C’est aussi à cette conclusion que Price et al. étaient parvenus dans une étude plus ancienne qui évaluait la prévalence de l’asthme d’effort au cours de la dermatite atopique.

En 1995, Schauer et al. ont étudié les relations entre l’éosinophilie sanguine, les taux sériques des médiateurs de l’inflammation, leucotriènes C4 (LTC4) et protéine cationique des éosinophiles (PCE), l’HRB non spécifique, la dermatite atopique et l’asthme chez des enfants âgés de cinq à quatorze ans. Une forte HRB est observée chez 6 des 17 enfants atteints de dermatite atopique.

A notre connaissance, il n’existe qu’une seule étude évaluant la réactivité bronchique aux acariens; elle porte sur 16 adultes ayant une sensibilisation aux acariens et soit une dermatite atopique isolée, soit un asthme isolé. Les IgE sériques totales et les IgE spécifiques dirigées contre Dermatophagoïdes farinæ étaient plus élevées chez les patients atteints de dermatite atopique isolée. Tous les asthmatiques et 50 % des patients atteints de dermatite atopique avaient une HRB à l’acétylcholine, résultats en accord avec les précédents. Après inhalation de Dermatophagoïdes farinæ, une réponse bronchoconstrictrice immédiate fut enregistrée dans les deux groupes, mais la quantité d’allergène nécessaire pour obtenir une chute significative du VEMS (PD 20) fut deux fois plus importante chez les patients atteints de dermatite atopique que chez les asthmatiques (p < 0,01). Il existe donc une HRB vis-à-vis des acariens au cours de la DA, mais elle est moins importante que dans l’asthme.

L’étude très originale de Ron Tupker et al. est la première (et la seule) qui constate un fait peu ordinaire : l’inhalation d’acariens provoque des lésions cutanées d’eczéma chez certains patients atteints de dermatite atopique ! 20 patients atteints de dermatite atopique ont subi des tests de provocation bronchique aux acariens en double insu contre placebo. Il s’agissait d’inhaler des quantités croissantes de Dermatophagoïdes pteronyssinus. Après ce test, 9 patients sur 20 (soit 45 %) ont présenté des lésions cutanées au bout de 1,5 à 17 heures. Fait important, sur les 9 patients qui ont présenté des lésions cutanées après le test de provocation, 8 ont aussi présenté une réaction bronchoconstrictrice avant l’apparition des lésions cutanées : ils avaient tous des antécédents d’asthme et des IgE totales plus élevées que les 11 patients «non répondeurs ».

Conclusion :

Les patients atteints de dermatite atopique (eczéma) développent un asthme dans au minimum 20 % des cas. Le risque d’asthme est corrélé au sexe masculin, au début précoce de la dermatite atopique (avant deux ans), au tabagisme maternel. De 50 à 90 % des patients atteints de dermatite atopique ont une HRB non spécifique, même s’ils ne présentent pas de symptômes respiratoires. Cette HRB est d’intensité moindre que celle des asthmatiques atteints ou non de dermatite atopique. Les patients atteints de dermatite atopique avec sensibilisation aux acariens développent une réaction bronchoconstrictrice et des lésions cutanées de dermatite atopique dans un cas sur deux. Ainsi, à côté du contact avec les allergènes (aéroallergènes ou allergènes de contact classiques), l’inhalation de pneumallergènes peut contribuer au développement de lésions de dermatite atopique. Il en est de même pour les allergènes alimentaires.

Les patients atteints de dermatite atopique (eczéma) doivent donc être considérés comme des <<asthmatiques en puissance>, ou comme des « asthmatiques latents ». Cette notion incite à une surveillance régulière, clinique et fonctionnelle, des patients atteints de dermatite atopique. Il faut leur conseiller d’observer des mesures préventives (éviction des allergènes et nuisances de l’environnement, en particulier du tabagisme) et de prendre l’avis d’un pnenmologue au moindre symptôme respiratoire, spontané ou à l’effort.