Grande prématurité : les relations enfant-parents-équipe

Naître, a priori, n’est pas un traumatisme. C’est une étape de la vie humaine. En revanche, ce qui peut faire traumatisme, ce sont les conditions dans lesquelles se déroule la naissance et la façon dont elle peut faire résonance dans l’histoire du sujet et de sa famille. La naissance d’un prématuré peut être traumatisante mais ne s’inscrira comme traumatisme, au sens freudien, qu’en fonction de la place qu’elle prendra pour chacun, en particulier pour la mère. La relation enfant-parents-équipe forme un tout indémaillable en cas de grande prématurité. En ce sens, I’effort fourni par les équipes médicales dans l’accompagnement de l’enfant et de ses parents est d’une importance capitale pour le pronostic à court et à long terme.

Après la séparation de la naissance, les mères se présentent souvent émues, parfois dans le rejet, la peur, la fuite… D’autres se battent pour voir et s’occuper de leur enfant, taraudées par cette force déclenchée par le bébé que Winnicott a appelé « préoccupation maternelle primaire », sorte de folie obsessionnelle dont souffrent les mères après la naissance de leur enfant.

UN BABY-BLUES DÉCALÉ

Lorsqu’il n’y a pas de séparation, cette « folie  » s’accompagne généralement de la survenue du baby-blues, état dépressif transitoire apparaissant le plus souvent vers le troisième jour. Chez les mères de prématurés le baby-blues est décalé, remplacé par un sentiment de tristesse réactionnelle à la situation. Il surviendra cependant dans les trois jours suivant le retour de leur enfant à la maison. Les mères adoptives déclenchent également un baby-blues quelques jours après la remise de l’enfant. Ces arguments nous permettent d’affirmer que le baby-blues est déclenché par la présence de l’enfant et la place qu’il vient prendre dans l’inconscient maternel, ceci dans le contrecoup de la rencontre.

En maternité, il est possible de restaurer leur narcissisme en les poussant à aller voir leur enfant au plus vite, en leur expliquant que le bébé est en attente de cette visite, car à cette heure il devrait être encore sous « perfusion ombilicale » de la mère, 24 heures sur 24 ! Personne ne peut les remplacer auprès de leur bébé : faire connaissance avec lui en décodant peu à peu son expression, en le touchant délicatement.

Ses facultés de concentration sont très faibles certes, mais, même lorsqu’il dort, il perçoit la présence de sa mère. Découvrir ce bébé peu gratifiant, apprendre à entrer en relation avec lui se fait au rythme de chacune. On peut proposer de donner à la mère une photo du bébé prise à sa naissance.

La mère peut laisser dans la couveuse un tissu imprégné de l’odeur de son corps qui rassurera le bébé pendant son absence. Enfin, il faudra dire à l’enfant son nom, son prénom, ceux de ses éventuels frères et sœurs, la raison de la séparation, des soins et ce qui est souhaité pour lui. Lui dire qu’il n’est pas abandonné, mais confié à une équipe médicale jusqu’au moment où il sera en état de rentrer à la maison. En constatant l’effet de ces démarches sur l’enfant, et ainsi intronisées dans leur fonction maternelle, la plupart d’entre elles émergent.

Ces mères sont suspendues par un traumatisme sans nom, cet innommable que l’on retrouve parfois dans la difficulté de donner un prénom à l’enfant au début, laissant sur la couveuse un inhumain numéro.

LE RISQUE EST L’OBJECTIVATION DE L’ENFANT

La première visite à l’enfant peut être très décevante si la mère n’a pas été préparée ou accompagnée. Le fameux bébé imaginaire est confronté à une réalité difficilement articulable. Ce fantasme auquel elles restent accrochées peut venir annuler la naissance et provoquer un sentiment d’irréalité. Le risque est l’objectivation de l’enfant, si souvent rencontrée dans certains services.

Certaines mères, jugeant l’équipe seule compétente, peuvent aller jusqu’à suspendre les visites. D’autres déclencheront leur agressivité en jugeant l’équipe maltraitante, attitude à interpréter comme une tentative désespérée de certaines pour se reconnaître bonnes mères en pointant le « mauvais Autre « , celui qui ne respecte pas leur bébé. Au cours de cette séparation, I’équipe, dont la fonction soutenante est essentielle, doit autoriser la mère à passer par des remaniements psychiques importants qui lui permettront de se construire, avec l’aide de son enfant, un instinct maternel parfois absent au rendez-vous.

Ces femmes sont prématurément mères, elles n’ont pas traversé les étapes psychologiques de la fin de la grossesse qui leur auraient permis d’être prêtes à affronter la préoccupation maternelle primaire face à un bébé en demande et en besoin. Dans un service de néonatologie, ces étapes sont « grillées » et, de plus, ces mères n’ont pas leur enfant avec elles; c’est alors à l’équipe de faire le relais : sauver les enfants et permettre aux mères de le devenir.

Les paroles médicales y ont une importance considérable, elles donnent un pronostic, souvent assez flou, qui permettra toutefois aux parents de garder l’espoir, de maintenir la force de vie à l’œuvre pendant la grossesse. Elles leur permettront de garder les yeux dirigés vers l’avenir, sans totalement se décourager au cours des moments plus difficiles qui surviennent inévitablement, afin de maintenir un portage symbolique de l’enfant par leur désir. Parfois ce ne sera pas possible. Alors l’équipe devra, sans juger et sans a priori, soigner et prendre en charge l’enfant pendant les périodes où ses parents n’y parviennent plus, laissant vacante la place qu’ils reprendront lorsqu’ils le pourront. Au bout de l’aventure, certaines mères éprouveront de la difficulté à récupérer leur enfant, à se passer de la technique.

L’équipe devra aborder cette situation comme un sevrage en prenant son temps, en accompagnant; il s’agit d’écouter afin de permettre d’affronter l’arrivée du baby-blues. Lorsque la vie fœtale est interrompue, le bébé, qui devrait encore être un fœtus, se trouve bien mal adapté à la vie aérienne. Il lui faudra bien sûr une assistance adaptée et les services sont de plus en plus performants dans ce domaine. Mais il lui faudra également une vie relationnelle, afin de pouvoir habiter son corps dans le regard des autres, se vivre comme sujet acteur de sa propre vie, en communication avec l’autre dont il a besoin pour survivre.

UN MATERIEL MIEUX ADAPTE À LA SENSORIALITE DU BEBE

.Françoise Dolto disait que parmi les psychotiques adultes rencontrés dans les hôpitaux psychiatriques, un certain nombre étaient d’anciens prématurés pour lesquels l’isolement sensoriel et relationnel où les avaient contraints les couveuses, avait déclenché une psychose expérimentale. Depuis, le matériel s’est adapté et respecte mieux les besoins psychiques du bébé ainsi que sa sensorialité spécifique. Pendant son sommeil, le bébé multiplie ses connexions neuronales; en service de néonatologie ses cycles sont sans cesse perturbés, il est souvent en dehors du rythme jour-nuit qu’il avait dans le ventre de sa mère, la lumière est quasi permanente et trop intense. Quel prix paye-t-il son traitement ?

L’existence d’un  » holding » adapté, mais aussi la reconnaissance qu’un bébé ne peut exister sans l’autre, que ce soit la mère, le père ou les membres de l’équipe, lui permettront de grandir dans un contenant physique et psychique. Il sera pris dans de multiples réseaux humains au travers desquels il existera avec plus ou moins de succès en fonction des forces de vie qu’il y puisera et de sa personnalité. La réussite de la communication entre lui et les autres lui permettra ou non de fonctionner en tant que sujet et non comme objet risquant alors l’effondrement.

Il est aujourd’hui admis, voire galvaudé, qu’il faut parler aux bébés. Dans le cas des grands prématurés, encore faut-il se demander qui doit lui parler, de quoi lui parler, quand et comment. Ce qui a pouvoir sur le bébé, c’est la parole vraie, celle dite au bon moment par la bonne personne et qui prend place dans son histoire. Comme l’hospitalisation du bébé n’a pas le même sens et ne sera- pas vécue de la même façon par chaque famille, ce qui est à lui dire varie. Les parents, s’ils y parviennent doivent lui parler, sinon un membre de l’équipe peut le faire, lui dire ce qui lui arrive, pourquoi il est là, qui il est, son prénom, son nom, sa famille. Il s’agit de reconstituer délibérément en mots le bain de langage dans lequel il aurait dû être plongé. Il faut lui dire la raison des soins, lui raconter également la grossesse, ce qui l’a précédée, en bref, son histoire. Ces bébés s’accrochent aux mots, au regard, y puisent l’énergie dont ils ont besoin. Il faut leur laisser le temps de répondre sans leur déverser un flot de paroles comme un magnétophone. Il faut donner sens à ces paroles, les incarner et les transmettre à l’enfant sur le mode de ce que Trowarthen a appelé la  » protoconversation « , c’est-à-dire lui permettre de participer à la conversation en tenant compte de ses réactions.

C’EST LE PÈRE QUI AIDE LA MÈRE À TROUVER SA JUSTE PLACE

La mère présente le père à l’enfant lors d’une naissance à terme. En cas de grande prématurité, c’est le père qui présente l’enfant à la mère, lors de la première visite autorisée pour elle. Celle-ci a souvent le sentiment qu’on lui a volé son accouchement. Parfois une première rencontre entre la mère et le bébé a lieu à la naissance, mais elle est rapide, furtive, toujours frustrante. Le père fera le lien. Il se trouve placé, et souvent malgré lui, en position maternante. Il arrive qu’il soit le seul à maintenir le lien à l’enfant, la mère, en raison de son histoire, s’excluant elle-même sous couvert de culpabilité prenant forme de rejet. Il n’en sera pas à l’aise pour autant. L’idéal, c’est que le père soutienne la mère pour qu’elle puisse soutenir l’enfant.

Il ne faut pas forcer les pères à changer les couches et donner des biberons. Un bon père n’est pas forcément celui qui mime la mère, mais celui qui aide la mère à trouver sa juste place auprès de leur enfant. C’est parfois très difficile lorsque la séparation résonne dans l’histoire de l’un ou de l’autre, I’empêchant de venir prendre sa place. Il faudra alors avoir recours à l’aide du psychologue. Ceci pose la question de savoir si le psychologue du service doit voir systématiquement ou non tous les parents. En dehors des difficultés pratiques, certains parents ne le souhaitent pas. Au psychologue alors de travailler avec l’équipe comme médiatrice de la parole.

Les grands prématurés traînent parfois avec eux l’étiquette  » préma  » toute leur vie. Cela concerne surtout ceux qui ont témoigné de leur fragilité par des complications. Ceux pour lesquels tout s’est passé pour le mieux semblent l’éviter. Une raison de plus pour que les professionnels poursuivent leur effort dans la limitation du traumatisme par une prise en charge de plus en plus éclairée.

Celle-ci a beaucoup évolué et s’est bien améliorée ces dernières décennies, plus de dialogue, plus de rencontres entre parents, plus d’informations.