Adulte ou éternel adolescent?

Les frontières entre l’adolescence et l’âge adulte n’ont jamais été aussi floues. Tour d’horizon.

RESTE-T-IL DES ADULTES  ?

Alors que les étapes traditionnelles du passage à l’âge adulte volent en éclats, des sociologues s’interrogent sur la survie même du concept. Reste- t-il encore des adultes parmi nous ? La question divise.

ADULTE ? JAMAIS !

OLIVIA LÉVY
LA PRESSE

Pour la sociologue Diane Pacom, la question de l’âge adulte est très épineuse, car nous vivons dans une société qui valorise la jeunesse éternelle et qui fuit les responsabilités. Alors, quand devient-on adulte ? « Jamais ! », lance sans hésitation la professeure de sociologie de l’Université d’Ottawa. « Les sociétés occidentales actuelles industrielles et numériques ont liquidé l’adulte dans tout ce qu’il représentait dans le passé, un passé qui date d’il y a 60 ans. »

L’âge adulte était pourtant souhaité autrefois, car il signifiait l’acquisition de l’autonomie et des responsabilités.

« Fermez vos yeux et essayez de penser à un personnage adulte. Même les politiciens agissent comme des adolescents et fuient leurs responsabilités. »

La sociologue estime que notre société carbure à l’énergie, à la recherche de l’euphorie en tout temps. « Ce qu’on recherchait quand on était jeune, on veut le vivre tout au long de sa vie. Même les personnes âgées veulent continuer à mener des vies de jeunes ! s’exclame Diane Pacom. Toutes les figures d’autorité de l’âge adulte ont perdu de leur contenu. On est dans l’ère du jeunisme poussé à l’extrême. »

Ce sont les baby-boomers (dont elle fait partie !) qu’elle tient responsables de cette déconstruction, car ils ont remis en question tous les fondements de la société. « Toute la fibre morale classique a été remise en question, ce qui a été une bonne chose, mais on en vit les conséquences. On est dans une déconstruction absolue de ce que représente l’âge adulte sur les plans moral, philosophique, économique et existentiel. »

Les caractéristiques et marqueurs sociaux qui existaient sur le plan anthropologique ont, selon elle, disparu. Voici les cinq marqueurs sociaux qui faisaient en sorte qu’on devenait adulte, avant.

LA FIN DES ÉTUDES

On devenait adulte lorsqu’on finissait ses études. « On constate qu’il n’y a plus de fin aux études aujourd’hui, observe Diane Pacom. On est dans une société où tout change, surtout d’un point de vue technologique. Conséquence ? Nous sommes toujours en formation, et ce, tout au long de notre vie. Même les personnes âgées sont en formation, elles apprennent une nouvelle langue, une nouvelle technologie, une nouvelle danse, le taï-chi, etc. Avant, à 13 ou 14 ans, on faisait le métier de son père. Un point, c’est tout. Aujourd’hui, on est à la remorque des changements rapides et profonds. On doit sans cesse se perfectionner et apprendre de nouveaux acquis qui sont nécessaires. »

LE MARIAGE

On devenait adulte quand on se mariait. « Et on ne se marie presque plus. Et si on se marie, on divorce, on se remarie et on re-divorce. Et si on ne se marie pas, on se sépare. Il y a eu des changements socioculturels tellement immenses que finalement, le “vivre seul” devient le nouveau modèle. Et quand on se sépare, on retombe dans l’état de la personne qui n’est pas adulte du tout, dans le célibat où on régresse alors qu’il n’y a pas si longtemps, cette situation était impensable ! »

QUITTER LE FOYER FAMILIAL

On devenait adulte quand on quittait le foyer familial pour emménager dans un appartement et devenir indépendant. « Autrefois, c’était vers l’âge de 14 ou 15 ans qu’on s’installait dans une petite maison près de la famille. Aujourd’hui, on parle des “enfants boomerang” : les parents les lancent et ils reviennent à répétition ! Ce sont des Tanguy. Je n’ai jamais vu autant de jeunes qui vivent chez leurs parents jusqu’à 25, 26 ou 27 ans, essentiellement pour des raisons économiques. Et cette situation est possible parce que les parents n’ont pas eu beaucoup d’enfants, alors ils peuvent les reprendre sous leur toit, chose impossible autrefois, car les enfants étaient trop nombreux. » Diane Pacom pense qu’on ne peut pas dire que les jeunes de 30 ans sont adultes (selon les marqueurs sociaux), car ils sont toujours en train d’être dépannés par leurs parents. Au moindre pépin, ils retournent vivre chez papa et maman.

AVOIR DES ENFANTS

On devenait adulte quand on avait des enfants. « Avant, on avait nos enfants entre 17 et 25 ans, maintenant, c’est entre 25 et 40 ans, voire plus tard. L’âge adulte est donc reporté vers un horizon qui n’a pas de limite. On entend d’ailleurs certains enfants qui reprochent à leurs parents d’être irresponsables et de ne pas agir en adultes. Alors qu’avant, les parents étaient des références, des modèles. Aujourd’hui, les parents agissent comme leurs adolescents. Ils parlent et s’habillent comme eux, jouent aux jeux vidéo, écoutent la même musique qu’eux et sont les amis de leurs enfants ! C’est déroutant pour des enfants d’avoir des parents qui ne sont pas des adultes. » Diane Pacom pense que les parents s’accrochent à tout ce que représente la jeunesse, à cette capacité de faire mille et une choses à la fois, de voyager aux quatre coins du monde, de tout essayer, c’est maintenant ou jamais ! « Le plaisir, le sexe, la bouffe, les voyages. Ça manque de maturité, tout ça. »

LA PROFESSION

On devenait adulte quand on choisissait une profession. « Aujourd’hui, on ne cesse de changer de profession au cours de sa vie, on a des parcours professionnels discontinus, mais au-delà de ça, il y a aussi les problèmes de chômage. Le travail nous donne crédibilité, autonomie et responsabilités, ce qui faisait de nous des adultes. Aujourd’hui, il y a des gens qui font leur doctorat car ils ne trouvent pas de travail ou alors ils changent complètement de voie. Et on peut perdre son emploi à 45 ou 50 ans et retourner vivre dans le sous-sol de ses parents. C’est du jamais-vu. Avant, tout était réglé : on avait une profession, on se mariait, on avait des enfants, et celui qui habitait chez ses parents à 30 ans était vu comme un vrai marginal. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. »

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